Olivier Vermeulen, délégué du Conseil de la Jeunesse pour les activités de l’ONU relatives au développement durable, sera à New-York en ce mois de septembre pour assister à la 68ème assemblée générale de l’ONU et au “special event” sur l’évaluation des Objectifs du Millénaire pour le Développement et l’agenda post-2015. Il y portera la parole de la jeunesse belge telle qu’explicitée dans cet avis.


Suite à la lecture du rapport du High Level Panel, voici les différentes inquiétudes de la jeunesse belge francophone.

Tout d’abord, l’ensemble de ce rapport paraît irréalisable. Il ne tient pas compte des capacités de la planète à répondre à nos attentes en matière de développement et, de plus, les solutions socioéconomiques mises en avant nous paraissent illusoires et inadaptées à un monde en crise.

Survolons quelques points qui nous amènent à dire cela.

Premièrement, ce document est rempli d’allusions à une croissance économique souhaitée. Ce souhait est une solution fort ancrée dans notre culture occidentale, mais est la cause principale de la non-durabilité de notre société. En effet, une croissance économique nécessite une production accrue et donc une consommation d’énergie et de ressources naturelles croissante. La croissance économique pourrait effectivement se faire dans le secteur des services, mais ce secteur ne peut être uniquement mis en place que dans une économie industrielle bien développée. La croissance d’une économie, même uniquement de services, demande un accroissement des biens de productions impliquant donc une augmentation de la consommation énergétique et matérielle. Les phrases comme celle-ci venant de la page 9 du rapport « Fourth, in order to bring new prosperity and new opportunities, growth will also need to usher in new ways to support sustainable consumption and production, and enable sustainable development. » sont donc des réels oxymores.

Voici brièvement pourquoi.
Actuellement, la majorité de notre apport énergétique est constitué d’énergies fossiles (85% selon une moyenne des sources littéraires) et leur combustion est accompagnée d’émissions de CO2. La croissance économique est donc directement liée au problème climatique que cette augmentation de CO2 dans l’atmosphère génère et nous pensons, en tant que générations futures, qu’il est grand temps de revoir ce paradigme et de changer les objectifs de notre société aussi vite que possible. Il s’agit là du plus grand défi de l’humanité, c’est-à-dire une prospérité sans croissance économique, avec une diminution de la production totale, ce qui correspond à une diminution du temps de travail de chacun et une augmentation du temps libre. Temps libre qu’il conviendra d’utiliser de manière non-consommatrice d’énergie ou de ressources, chose que nous connaissons à peine actuellement et où la créativité des humains va devoir jouer un rôle primordial !

Deuxièmement, à travers l’ensemble du rapport, une problématique est souvent mise en avant; la pauvreté. Mais qu’est-ce que la pauvreté si elle n’est pas comparée à la richesse d’autres populations ? De plus, la pauvreté ne se mesure qu’en valeur monétaire. Mais une population peut se porter très bien sans pour autant nécessiter une richesse mesurable économiquement.
Selon nous, cette chasse à la pauvreté doit être remplacée par une poursuite d’équité à travers la population mondiale afin de permettre à chaque humain d’accéder aux biens et services minimaux sans violer les droits des autres humains, futurs et présents. La pauvreté est causée par des inégalités dues à l’exploitation outrancière à laquelle se livrent des entreprises privées qui accaparent les ressources sans contreparties ni contraintes suffisantes, et au mépris des règles élémentaires de la démocratie. Afin que chaque être humain puisse vivre dignement, il s’agit au plus vite de mettre en oeuvre cette équité en restant dans les limites physiques de notre planète.

Notons les conséquences de ce manque de prise en compte des inégalités et des limites physiques de notre planète.

Par exemple, nous lisons dans le HLPR (High Level Panel Report) qu’il faut pouvoir compter sur l’aide que donneront les entreprises privées au pays en voie de développement, comme indiqué à la page 12 par ces mots-ci « The most important source of long-term finance will be private capital, … ». Les entreprises privées ne sont pas des oeuvres de charité. Cependant, cette idée revient à plusieurs reprises dans le rapport, comme à la page 17 où est inscrit « We embrace the positive contribution to sustainable development that business must make ». Mais les entreprises privées ne réaliseront des projets dans les pays en voie de développement que si cela leur permettra de gagner plus d’argent à la fin de l’année. Et ne feront également aucun effort de développement durable si elles n’y sont pas légalement contraintes ou si cela réduit leurs profits. N’est-ce pas en contradiction avec le premier point de ce texte ? À qui bénéficiera finalement cette croissance économique des entreprises privées ? Le passé nous montre que l’argent termine dans les poches des investisseurs, qui ne sont pas les populations en voie de développement, mais bien les entreprises privées elles-mêmes et ceci est donc complètement contradictoire avec la deuxième remarque principale qui demande une diminution des inégalités aussi vite que possible.

De plus, le rapport se vante de l’augmentation de la paix dans le monde (occidental) depuis quelques décennies. Effectivement, les pays occidentaux connaissent une paix physique depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Mais ne vivons-nous pas, dans nos pays dit civilisés, quotidiennement une guerre économique au sein de nos entreprises ? En exemple, les cours de stratégies des entreprises donnés dans nos universités sont basés sur les stratégies de guerre de la deuxième guerre mondiale. Mais la grande différence est que les blessures de guerre ne sont pas visibles comme
d’antan. Aujourd’hui il s’agit d’une population dévastée par les dépressions (la prise d’anxiolytiques n’a cessé d’augmenter depuis des années) ainsi que par des suicides dont le nombre croît également d’année en année, et ceci parmi les jeunes comme dans la population active … Alors, n’est-il pas temps de mettre fin à cette guerre économique qui est basée sur l’unique envie de toujours plus au détriment des autres et de son propre bien-être ?

Au contraire d’une diminution de la régulation du marché, comme le suggère la fin du point 3 dans la synthèse du rapport, cette paix économique exige une régulation accrue, certes moins complexe, des marchés économiques afin de, à nouveau, pouvoir diminuer la production totale, consommatrice d’énergie, et de pouvoir augmenter l’équité entre les populations (et donc la fin de l’exploitation des petits producteurs par des grosses entités économiques).

Le rapport parle également du rôle des sciences et des technologies dans l’agenda Post-2015. Nous pointons cette phrase p.11: « Scientists and academics can make scientific and technological breakthroughs that will be essential to the post-2015 agenda ». Certes, mais dans cette perspective, ne serait-il pas temps de prendre en compte l’ensemble de la recherche dans les décisions politiques ? Tout un pan de la littérature scientifique traite actuellement des limites de ces augmentations d’efficience énergétique et des limites de nos capacités planétaires à poursuivre notre
développement actuel.Que prennent actuellement en compte les décideurs politiques ? Uniquement les recherches, parfois nettement moins rigoureuses, qui prônent les découvertes de nouvelles technologies et de nouvelles solutions à tous nos problèmes. On lit ainsi page 17-18 « The most important changes will be driven by technology, … ». Mais la réponse aux questions climatiques ne se trouve plus dans les mains des ingénieurs et des chercheurs, la limite d’efficience est presque atteinte comme le permet de comprendre une lecture approfondie des rapports de l’International Energy Agency ! L’humanité doit redescendre sur terre afin de faire des choix en toute humilité par rapport aux réalités physiques de notre monde.
La préservation de la biodiversité et du climat ne sera possible que si des choix politiques se font en se basant sur l’ensemble de la littérature scientifique, littérature qui explose de messages d’alerte, trop souvent peu connus par rapport aux quelques messages de déculpabilisation massive comme l’ont fait (et le font encore) les climato-sceptiques depuis des décennies.

Une dernière remarque de la jeunesse belge au HLPR se rapporte aux réelles ambitions que les auteurs de ce texte ont eues en l’écrivant. En effet, nous retrouvons à la page 21 la phrase suivante « Like the MDGs, they would not be legally binding, but must be monitored closely. ».
Statutairement, l’ONU ne peut effectivement pas donner d’obligations aux pays membres, mais uniquement des recommandations que chaque pays peut suivre ou ne pas suivre. Inutile de rappeler cette réalité dans un texte comme celui-ci. Cela déforce l’impulsion que l’ONU entend donner aux états membres. Rappeler encore à chaque nation, qu’elle a le loisir de procéder comme bon lui semble, ne fait qu’amoindrir encore le peu de poids que pourrait avoir l’ONU sur les politiques locales. C’est un pas de plus vers un morcellement du partenariat mondial que représente l’ONU et donc vers l’individualisme de chaque nation à se battre encore dans cette guerre économique pour ces propres intérêts de croissance qui ne sont ni durables, ni éthiques, ni porteurs de bonheur pour leur population, c’est-à-dire inutiles à notre société actuelle qui a un réel besoin de changement culturel et de renouvellement de ces paradigmes !
Il est temps de revenir aux fondements du développement durable. Que les jeunes, mais aussi les autres groupes majeurs soient entendus dans leur exigence de plus d’égalité et de respect des limites planétaires.

Nous sommes également surpris par le manque d’ambition du rapport du Secrétaire Général de l’ONU publié le 26 juillet 2013, à propos de l’avancement des objectifs du Millénaire pour le développement. Celui-ci s’aligne sur les propos se trouvant dans le HLPR et, même quand des changements sont prônés, aucun outil n’est prévu pour les mettre en œuvre.
Par exemple, on y trouve mention des inégalités.Le fait d’en parler est positif, mais comment arriver à une diminution des inégalités sans régulation accrue ? Le terme « régulation » ne se trouve pas une seule fois dans ce rapport. Ce terme est-il politiquement incorrect, voire tabou dans notre société en crise ? Une telle omission est notable et ouvre la porte au laisser-faire total du marché économique. En effet, des égalités de chances ou d’opportunités, comme proposées dans le rapport du Secrétaire Général, favorisent l’augmentation de l’exploitation des ressources planétaires et ne permettent pas aux défavorisés de notre planète d’accéder aux biens et services minimaux ! Car, même si la liberté est donnée à chacun de pouvoir développer une activité économique, encore fautil en avoir les moyens. N’est-il pas tout simplement grand temps de réguler l’activité des plus gros acteurs économiques et d’organiser une distribution équitable des ressources, y compris parmi les entreprises mais aussi au sein des populations, en veillant à ce qu’elles soient gérées dans les limites de la planète et dans le respect du bien commun?

Afin d’assurer un avenir soutenable pour chacun de nous dans les décennies à venir, nous espérons donc fortement que notre cri sera entendu et que des réels changements s’opéreront au courant de cette semaine cruciale fin septembre.
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Webothèque

 Site du Conseil de la Jeunesse: http://www.conseildelajeunesse.be/

 Blog des jeunes délégués Belges à l’ONU: http://www.belgianunyouthdelegates.com/
 Rapport du panel de haut niveau en français, titré “Pour un nouveau partenariat mondial : vers l’éradication de la pauvreté et la transformation des économies par le biais du développement durable”: http://www.post2015hlp.org/wp-content/uploads/2013/07/post-2015-HLP-report-French.pdf

 Présentation du panel de haut niveau des éminentes personnes désignées par Ban Ki Moon pour réaliser ce rapport sur l’agenda du développement post-2015: http://www.un.org/sg/management/hlppost2015.shtml