L’histoire des mouvements dont nous sommes les héritiers, nous permet de nous situer dans la grande chaîne humaine et nous livre des enseignements utiles pour le débat public sur les changements de société nécessaires aujourd’hui. Voici l’histoire croisée du mouvement associatif d’une part, et du développement durable d’autre part.


L’Associationisme

L’associationnisme trouve sa source dans l’économie populaire de subsistance à l’échelle domestique ; il s’agit d’une économie de travail et non de capital. Dès le XVIIIe siècle, la lutte pour les droits civiques – qui aboutira à la Révolution Française et à des processus équivalents dans d’autres pays – se nourrit d’une telle activité économique. Cette combinaison économie/politique confère au mouvement associatif une force financière mais aussi morale (sociale ou religieuse), qui devient incontournable au XIXe S. L’associationnisme émerge aux Etats Unis (mouvements d’émancipation des noirs et des femmes), en Europe mais aussi en Amérique Latine où l’économie populaire est tout d’abord une activité alternative et de résistance à l’économie coloniale, et devient ensuite une résistance au capitalisme au XIXe siècle.

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Ce n’est pas pour rien que les associations sont régulièrement réprimées dans les différents pays où elles s’activent. Malgré tout, des sociétés de secours mutuel se développent, issues d’un mouvement ouvrier des « petits métiers », qui combinent philanthropie, politique et syndicalisme. Ainsi se créent des associations de travailleurs, des banques populaires, des mutuelles.

On retrouve là le fondement d’une politique de l’association, un nouveau type d’espace public oublié par l’Histoire. Celle-ci n’a retenu que les VIP de l’utopie  : Saint-Simon (1675-1755), Charles Fourier (1772-1837), Alexis de Tocqueville (1805-1859), dont les écrits ont d’ailleurs permis de documenter l’histoire du mouvement social. L’utopie était alors expérimentée, ce qui la démocratisait et la protégeait des tendances à l’enfermement totalitaire qui l’ont emporté ensuite. Les praticiens de l’utopie, par leur lutte pour plus d’égalité, s’opposaient fondamentalement à l’idée d’une loi naturelle de l’économie de marché.

C’est ainsi que, petit à petit, la solidarité se substitue à la charité. La solidarité est une notion plus forte, parce que sa portée collective structure les rapports sociaux et économiques. Au XIXe siècle, l’idée neuve est celle d’une solidarité démocratique, différente des solidarités traditionnelles, plus politique. La revendication du principe d’égalité peine à progresser mais elle crée du lien social.

A partir de la seconde moitié du XIXe S., les politiques établis argumentent qu’il faut certaines qualités pour avoir le droit de s’exprimer, notamment par le vote (censitaire). Ils développent en même temps l’idéologie du progrès et du productivisme. Le mouvement libéral monte en puissance. Un groupe social pose problème : les pauvres, qui ne peuvent s’adapter au nouveau régime ! Or ces « pauvres » ne se battent pas seulement pour leur survie mais aussi pour défendre une certaine manière de vivre ensemble, et surtout plus d’égalité. Les révoltes paysannes et ouvrières se passent à des périodes différentes d’un pays à l’autre, le radicalisme populaire revient régulièrement ici et là jusqu’à la fin du XIXe S. Puis il est englouti dans la polarité libéralisme v/s socialisme.

De cette polarité naîtront les grandes idéologies qui marqueront le XXème siècle, mais aussi des réformes aboutissant à une nouvelle architecture bipolaire de la société, Etat social d’une part, marché d’autre part. Dans ce compromis, la solidarité est tributaire de la croissance marchande et les syndicats s’enracinent dans l’entreprise de type industriel. Entretemps, l’économie populaire a été dévalorisée, au nord comme au sud, et le secteur associatif est devenu le « tiers secteur », à la marge des deux autres. Pourtant, dans les faits, l’économie populaire subsiste. Jusqu’au milieu du XXe S., la paysannerie reste le modèle agricole dominant et on compte plus d’ouvriers dans les PME que dans les grandes entreprises.

Dans la seconde moitié du XXe S., on voit émerger des formes renouvelées d’économie sociale, portées par des économistes qui réécrivent l’histoire, à l’instar de Karl Polanyi (1886-1964) et de sa « Grande transformation » (1944). Dans cet ouvrage, Polanyi retrace l’histoire du capitalisme, du XVIIIe S. jusqu’à la seconde guerre mondiale, avec une vision d’une actualité toujours étonnante aujourd’hui…

Le développement durable

Parallèlement on peut retracer l’histoire des débats qui ont abouti à la notion de développement durable. Celle-ci est le fruit d’une longue maturation de débats sociétaux. Le croisement des analyses socio-économiques, environnementales et démographiques survient dans les années 80, marquées par l’essoufflement des mythes et des discours issus de la révolution industrielle. L’irruption de l’environnement naturel, pollué autant par le capitalisme que par les régimes communistes en perte de vitesse (le mur de Berlin est sur le point de tomber), renvoie dos à dos les protagonistes de la rivalité Est-Ouest, du clivage gauche-droite et des tensions Nord-Sud.

Ce souci pour l’environnement naturel a lui-même des racines profondes. A la fin du XIXe siècle, aux Etats-Unis, préservationnistes et conservationnistes s’opposent sur une sauvegarde des espaces naturels vierges de toute influence humaine pour les premiers, anthropocentrée pour les seconds. On est alors sur un continent à peine émergé du choc des cultures entre tribus indiennes et colons blancs… Plus près de nous, en 1962, Rachel Carson publie « Silent spring », réquisitoire contre les pesticides de synthèse qui conduisit à l’interdiction du DDT aux USA. Ce livre vendu à plus de 2 millions d’exemplaires fut traduit en 16 langues et maintes fois réédité.

Dans les années 70, l’impact environnemental se trouve résumé dans une équation, le modèle IPAT de Erhlich, Holdren et Commoner : l’impact (I) de la consommation humaine d’un bien ou d’un service étant le produit du nombre de personnes (P pour populations) qui le consomment, du nombre d’unités consommées (A pour affluence) et de l’impact unitaire de ce bien ou service dépendant de la technologie (T) utilisée pour sa production et son usage.

L’explosion démographique, prise en compte dans cette équation (P) questionne alors les modèles de développement. Il devient évident qu’on ne pourra généraliser à l’ensemble de la planète le mode de consommation des pays riches, dont les pays du Sud ne veulent d’ailleurs plus être les esclaves. Dans ce contexte, en 1970, le Club de Rome publie le rapport « Halte à la croissance ». Les institutions onusiennes cherchent un projet consensuel qui permette de sortir de l’impasse productiviste tout en évitant de sombrer dans le catastrophisme des limites : dans la déclaration de Cocoyoc (Mexique), en 1974, il est question « d’éco-développement ». La diplomatie américaine rejette ce concept jugé trop radical et hostile à l’économie de marché…

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La Commission pour l’Environnement et le Développement (CMED) créée par l’ONU en 1982 ne part donc pas de rien. La présidente de la CMED, Gro Harlem Bruntland, a laissé son nom au célèbre rapport de 1987 qui consacre la définition du développement durable (cfr encadré). Celui-ci est légitimé au plan international par le Sommet de la terre à Rio, en 1992…
En 2012, le DD aura 25 ans et l’ONU organise « Rio +20 » ! Cfr www.earthsummit2012.org/

Entretemps, le monde a changé et de plus en plus de voix s’élèvent pour contester le développement durable, à sa droite mais encore plus à sa gauche, décroissants en tête. Cette critique elle-même a aussi toute une histoire. Elle est largement alimentée par l’utilisation tous azimuts et parfois hypocrite du terme « développement durable » jusqu’au cœur du système capitaliste. Compte tenu du fait qu’il a près de 25 ans, on n’est pas très étonné de voir ce terme subir une sorte de « crise générationnelle »…

Cette brève histoire du DD est issue de l’article “Le développement durable, entre mythe et utopie”, de Paul-Marie Boulanger, Institut pour un développement durable.

L’avis des associations :

Inter-Environnement Bruxelles

Institut pour un développement durable