1. INTRODUCTION

Le 26 mars 2023, à l’occasion du Housing Action Day, de nombreuses associations et citoyen·nes manifesteront dans les rues de Bruxelles, de Liège et de Charleroi pour le droit au logement.

Les revendications à Bruxelles :

  •       Une baisse des loyers immédiate !
  •       La fin des expulsions et la régularisation pour tous·tes !
  •       PLUS de logements sociaux et d’alternatives au marché privé !

A Liège, ces revendications précisent le gel et l’encadrement des loyers, et la lutte contre les logements inoccupés. Quant aux alternatives, il s’agit notamment de dépénaliser les squats et de promouvoir les réquisitions, notamment via la possibilité, ouverte depuis septembre 2022 aux associations de défense du droit au logement, d’entamer en Wallonie des actions en cessation pour rénover et remettre sur le marché des logements vides. Encore faut-il que ces organismes en aient les moyens !

Dans ce contexte encore plus tendu qu’il y a 10 ans (+142,2% de sans-abri entre 2008 et 2018 à Bruxelles[1]), les membres d’Associations 21 se sont replongés dans leur Plaidoyer pour un habitat durable publié en février 2013 : juste 10 ans ! Cette lecture donne le vertige : comme nous étions idéalistes !

Depuis, à maints égards on régresse : la financiarisation du logement rend difficile l’accès à un logement décent à un prix abordable, nous éloignant de la réalisation de l’Article 23 de la Constitution: « chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ce droit comprend notamment le droit à un logement décent ».

Il y a également des avancées, bien trop limitées. En matière de rénovation énergétique, la transition est perçue par les plus pauvres comme une révolution bourgeoise[2]. L’explosion des prix de l’énergie en 2022 a pointé la nécessité de vivre et de se chauffer autrement. La rénovation groupée apparaît nécessaire mais rencontre trop d’entraves. L’écoconstruction reste une niche… Il est toujours bien plus coûteux de rénover en profondeur des bâtiments (par exemple pour réhabiliter ceux qui sont inoccupés) plutôt que d’en construire des neufs (mais il n’y a plus de place pour ceux-ci !)

Associations 21, en tant que coupole de développement durable, s’inscrit en complémentarité des travaux du Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH) qui fait partie du Conseil Consultatif du Logement de la Région Bruxelloise, et du Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat (RWDH). Nous mettons donc un focus particulier sur la durabilité, en croisant les objectifs environnementaux, sociaux et économiques. L’habitat durable doit être durable dans tous ses aspects, y compris dans le fait que les personnes puissent rester durablement dans leur logement si elles le souhaitent.

2. CONSTATS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

FINANCIARISATION DU LOGEMENT

Un problème majeur est celui de la financiarisation du logement (càd lorsque le logement devient un « produit » financier). La spéculation foncière et immobilière se manifeste par les phénomènes d’accumulation, titrisation, endettement de masse, etc. Les conséquences sont multiples : exclusion, paupérisation, ghettoïsation, accroissement des inégalités et une dépossession des centres de gouvernance du logement (voire des politiques de logement) vers les grandes entreprises et le secteur de la finance (cotations en bourse). Ou, pour reprendre les termes de Thimothée Parrique qui se revendique en lien avec la pensée d’Hannah Arendt, « La cause première du déraillement écologique n’est pas l’humanité mais bien le capitalisme, l’hégémonie de l’économique sur tout le reste, et la poursuite effrénée de la croissance ».

 

ENERGIE ET RÉNOVATION

Des politiques publiques de rénovation sont prévues pour faire face aux défis énergétiques et climatiques à moyen et long terme. Cependant, ces plans ne seront pas suffisants et ne répondront pas aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés à court terme ni à la nécessité de transformer radicalement nos manières d’habiter. La question de la sobriété et de la justice énergétique doit aussi être « prise à bras le corps » et assumée dans le champ politique.

De plus, les techniques et matériaux mis en place pour la rénovation/construction des bâtiments ne tiennent pas forcément compte de l’ambition écologique. Les calculs carbone-CO2 ne « comptabilisent » pas l’ensemble de la filière de production du logement, depuis la création des matériaux de base jusqu’à la démolition du bâti. De plus, ces rénovations ont des conséquences : sur le bâti ancien qui développe des poches d’humidité – ce qui peut être en partie contré par un système de ventilation coûteux – dans tous les cas, les isolants sont le plus souvent choisis au sein d’une gamme de produits particulièrement polluants.

En France, une initiative citoyenne tente de trouver des solutions pour accélérer les travaux de rénovation et réduire le coût social de l’attente des travaux : https://www.precarite-energie.org/wp-content/uploads/2022/10/territoire-zero-logement-passoire1.pdf

Enfin, le secteur de la construction et de la rénovation fait l’objet de de nombreux litiges. Beaucoup de maîtres d’ouvrage se plaignent de malfaçons et autres difficultés avec des professionnels de la construction.  Les recours en justice s’avèrent tellement laborieux qu’ils ne représentent que la pointe émergée de l’iceberg. Ce problème devrait être documenté par des recherches transdisciplinaires.

 

UNE POPULATION PRISE EN ÉTAU

Les populations les plus vulnérables vivent les exigences écologiques comme une véritable violence faite aux plus pauvres. Plusieurs structures membres d’Association 21 ont répondu à un questionnaire … « Tu es pauvre et donc tu ne pourras pas être un sauveur du monde ! Le bobo bourgeois finit par avoir un regard condescendant sur ce ‘sale pauvre’ qui pollue. La transition est une révolution bourgeoise ». Demander aux plus pauvres de diminuer leur chauffage d’un degré alors qu’ils ne se chauffent déjà plus pour pouvoir se nourrir est violent. Les discours colibri peuvent être dès lors très mal vécus par les plus précaires.

Les inondations en Province de Liège illustrent un autre problème : celui de la participation des citoyens à la réponse en cas d’urgence climatique. Dans certains quartiers, le temps passant, en l’absence de réponses claires des autorités, des habitants ont commencé à rénover leurs logements, en y investissant ce qu’ils avaient retouché des assurances. Ensuite, leurs logements ont été  déclarés en zone inondable. Ces ménages sinistrés ont alors été convoqués un par un, et invités à vendre à bas prix leur logement voué à la démolition.

L’expropriation est-elle une meilleure solution pour ces personnes ? Elle implique des droits supplémentaires (frais de dédommagement moral, pas de frais de notaires…) mais aussi une procédure judiciaire plus longue et dont l’issue n’est pas certaine… Une prise à bras le corps collective de ce problème dès l’été 2021 aurait peut-être permis d’éviter de telles faillites individuelles.

 

ÉTALEMENT URBAIN ET ARTIFICIALISATION DES SOLS

10 février 2023 – Canopea tire la sonnette d’alarme : alors que le Gouvernement wallon s’est engagé à ne plus artificialiser son territoire, on déplore, en 2022, l’inversion d’une tendance à la baisse depuis plus de 20 ans : la surface consacrée au résidentiel augmente à nouveau au détriment des terres agricoles ! Idem pour les zonings. Résultat : l’agriculture perd près de 10 km² chaque année, entraînant une hausse rapide des prix des surfaces agricoles, que rachète massivement l’industrie agro-alimentaire… Il est urgent de réviser le Plan de secteur ! Le Stop Béton est un objectif tant pour la Wallonie (2030>2050) que pour Bruxelles qui a perdu 14% de ses espaces verts entre 2003 et 2016.

3. PISTES DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

PROMOUVOIR LA PARTICIPATION ET LE PARTENARIAT

  • Certaines initiatives citoyennes voient le jour pour répondre à la crise énergétique et au besoin massifier les rénovations. Il est important que les habitants soient à l’initiative de ces démarches et/ou les portent. Le fait que ce type de démarche soit citoyenne permet de pallier à la lourdeur et la lenteur des décisions institutionnelles. Bref, veiller à une gouvernance « bottom-up » plutôt que « top-down » des projets immobiliers en général.
  • A côté des initiatives publiques et privées, il faut développer une troisième voie : celle des initiatives d’habitants, avec le soutien et la co-construction du secteur public (y compris en matière de logements publics). Un nouveau modèle de Partenariat Public-Citoyen-Associatif est à imaginer. Un principe de « subsidiarité active » où l’habitant serait l’entité la plus directement concernée par l’action publique.

 

CONTRER LA SPÉCULATION DU TERRAIN ET DU BÂTI

  • Taxer les plus-values foncières et immobilières[3] – taxer les revenus de la location – aller vers une taxation unique de tous les revenus
  • Revoir la fiscalité en matière de loyers perçus : fiscalité progressive incitant à la modération des loyers, déduction des travaux effectivement réalisés pour inciter la rénovation, incitation majorée en cas de rénovation énergétique. Cf. les propositions relatives à la fiscalité dans le Plan Logement du Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat.
  • Plafonner le nombre de propriétés foncières et immobilières – limiter la vente de bâtis et de terrains à des fins purement « touristiques ».
  • Garder la maîtrise du foncier – garder des réserves foncières dans le giron du secteur public – mettre en place des projets habitat de type Community Land Trust.
  • Créer une Charte anti-spéculative destinée aux opérateurs immobiliers du secteur privé.
  • Donner les moyens nécessaires aux actions en cessation concernant le logement vacant. Pour assurer le droit au logement sans que ce soit au détriment de la protection des espaces non bâtis, la société civile plaide pour une lutte pro-active contre l’inoccupation : de nouvelles mesures en ce sens sont en vigueur en Wallonie depuis septembre 2022 : seuils minimaux de consommation d’énergie & d’eau définis en-deçà desquels l’occupation du logement doit être démontrée, agrément des associations de défense du droit au logement, pour mener des actions en cessation, montant de l’amende pour logement vide. Les propriétaires sont en outre informés et encouragés à confier la gestion de leurs biens à des organismes tels que les Agences Immobilières Sociales… Mais les moyens financiers de celles-ci sont limités, et dans le long terme, leurs investissements reviennent aux propriétaires privés.

 

RELANCER-SOUTENIR LA PRODUCTION DE LOGEMENTS DITS PUBLICS

  • Maintenir les efforts pour augmenter le nombre de logements sociaux. Bruxelles a pour objectif d’atteindre dans toutes les Communes 15% de logements à finalité sociale. En 2021, nous en étions à 11,22% (Baromètre du RBDH). Le logement social en Région wallonne n’atteint que 5,3%, ceci sans compter les plus de 8 millions de logements publics et le chantier de 800 nouveaux logements publics à haute performance environnementale. Pour plus de logements sociaux, il faut un refinancement du secteur du logement social selon le RWDH.
  • Promouvoir des modèles innovants (CLT – sortir de la dichotomie 100% locataire ou 100% propriétaire de notre législation actuelle – etc.).
  • Modifier les normes SEC de contraintes budgétaire à l’Europe.
  • Contraindre tout promoteur immobilier à créer du logement public (social, habitat groupé solidaire, etc.) via les charges d’urbanisme.
  • Modifier le modèle de construction actuel via des clauses sociales.

 

EN METTANT L’HABITANT AU CENTRE DES DISPOSITIFS

  • Développer des projets d’habitat « autrement ». Partout dans le monde, l’idée fait son chemin de tracer une tierce voie où citoyens, secteurs publics et associatifs pourraient développer ensemble de projets de logement. C’est que l’on appelle la Production Sociale de l’Habitat, pour des villes et des campagnes construits pour et avec les habitants : https://habitat-worldmap.org/mots-cles/production-sociale-de-lhabitat/
  • Financer davantage l’accompagnement social des personnes en précarité sociale (au sens des critères de l’OCDE, et pas seulement en précarité financière). Une modalité qui permet de soutenir l’aide à la personne à côté des mesures d’aide à la brique.
  • Promouvoir l’habitat groupé, sachant que les habitants y sont généralement des vecteurs de développement durable tant dans leurs logements qu’au niveau de leurs quartiers (bâti écologique, éolienne de quartier, achats groupés d’énergie, etc).
  • Soutenir le développement de l’habitat léger pour ceux qui le souhaitent (tout en mettant des balises pour éviter les dérives spéculatives), ce type d’habitat étant très respectueux de l’environnement : matériaux écologiques – faible emprise au sol – faible surface bâtie …
  • Agir face aux dérives de ces modèles « alternatifs », souvent non encadrés qui sont très rapidement récupérés par le marché et ne profitent plus des formidables potentiels de ces solutions « nouvelles » d’habiter : colocation, habitat léger, etc.

DES MODES DE RENOVATION QUI RESPECTENT LES HABITANTS

  • Demander aux pouvoirs publics de soutenir les ARA = auto-réhabilitation accompagnée à réaliser avec des matériaux écologiques, voire bio-sourcés. Les avantage sont nombreux : un bâti rénové qui consomme moins d’énergie, la participation active des habitants, un respect des critères écologiques de rénovation, une diminution des factures énergétiques des locataires (sociaux). Dans le Nord de la France, les politiques soutiennent ce type d’initiative et donc financent ou co-financent les équipes techniques qui encadrent ce type de rénovation au sein même de sociétés de logements publics : ARA, une démarche inspirante selon Espace Environnement.
  • Sortir des trop nombreux litiges en cas de rénovation. La prévention des litiges pourrait prendre la forme d’une check-list accompagnant les permis d’urbanisme, afin d’inciter les maîtres d’ouvrage à se poser les bonnes questions avant de choisir un entrepreneur… Ou un architecte, qui lui-même devrait accompagner ses devis ou contrats d’une telle check-list ! (Elaborée sous la responsabilité de l’Ordre des Architectes, en collaboration avec Homegrade et autres organismes analogues d’aide aux particuliers).

 UNE JUSTICE SOCIALE ET CLIMATIQUE CONJUGUEE

  • Mettre en place des systèmes de réparation dans un monde où les catastrophes climatiques vont se multiplier. L’art. 23 de la Constitution promeut un droit au logement, mais ce droit n’est pas opposable[4] réellement. À l’évidence, les innombrables condamnations de l’Etat concernant les demandeurs d’asile restent sans effet. Or en cas de catastrophe naturelle ou pour des demandeurs d’asile, le citoyen a – en théorie – des voies et recours pour obtenir la mise en œuvre effective de ce droit, vu que l’Etat devrait loger ou héberger les personnes reconnues prioritaires.
  • Lier aujourd’hui logement et énergie dans les mesures à prendre. Le coût du logement est aujourd’hui composé du loyer proprement dit et des charges diverses dont les charges énergétiques. Les dispositifs de contrôle – forts ou légers – des loyers n’ont pas d’impact sur la montée du prix du logement suite aux augmentations des prix de l’énergie. La mise en place de mesures visant à lier hausse des loyer et PEB a aussi des effets pervers, sans compter le manque d’objectivation. Toute réflexion sur le logement doit passer par des réflexions en matière d’énergie. En Wallonie une Alliance Climat-Emploi-Rénovation (ACER) a été mise en place – à Bruxelles, le Plan Énergie Climat a engendré la stratégie de Rénovation de la Région, nommée Rénolution. Nous demandons aux autorités d’être attentives aux conséquences de ces rénovations et autres dispositifs sur les plus pauvres : gentrification ? hausse des loyers ?

 

RÉGULATION DES LOYERS

Le 17 janvier 2023, le Parlement Bruxellois accueillait un public nombreux pour toute une journée d’étude consacrée à la régulation des loyers. L’expérience bruxelloise basée sur Ordonnance du 28 octobre 2021 laisse songeur : la Région de Bruxelles Capitale interdit en principe les loyers abusifs. Mais la commission paritaire prévue par cette ordonnance pour rendre des avis sur la justesse des loyers n’est pas encore active : les bailleurs s’y opposent. Cette commission ne peut rien leur imposer. La démarche à faire de toute façon revient au locataire, qui le plus souvent n’est pas en position de pouvoir contester le montant du loyer. Il s’agit donc encore de traitement individuel.

De plus, les chercheurs de l’ULB chargés de définir une grille des loyers, craignent eux-mêmes les effets pervers d’une telle grille de référence, basée sur le marché[5]. Une grille indicative existe aussi en Wallonie. Des exemples bien documentés de régulation des loyers dans d’autres pays ont été présentés à cette journée d’étude du 17 janvier à Bruxelles. Cette problématique devrait être prise à bras le corps par toutes les composantes de la société, car le problème est systémique et ne pourra pas être résolu par une seule mesure. Nous poursuivrons donc l’investigation sur ce sujet. A suivre !

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Références

[1] Source : Rapport FEANTSA – Cinquième regard sur le mal logement en Europe – 2020

[2] Analyse des réponses au questionnaire d’Associations 21 sur les tensions entre le social et l’environnement dans le logement, diffusé en 2022 parmi les acteurs associatifs.

[3] Fiscalité immobilière : l’accès à la propriété est favorisé par des déductions fiscales liées aux emprunts hypothécaires, ce qui détourne une partie substantielle des moyens financiers dévolus à une politique régionale de logement. Tout ce qui relève de l’aide à la propriété et à sa rénovation (primes), coûte cher aux pouvoirs publics parce que ces coûts sont réitérés avec chaque bénéficiaire…

[4] Le terme opposable décrit l’aptitude d’un droit ou d’une situation juridique à voir leur effets reconnus par des tiers. En France, le droit au logement est dit opposable et tout citoyen peut exiger que l’Etat mette à sa disposition un logement. Ce n’est pas le cas en Belgique où ce droit est plutôt un objectif à atteindre, des droits divers à respecter.

[5] Hugo Périlleux et Pierre Marissal (ULB-IGEAT), En finir avec la grille des loyers sur le site https://inegalites.be/