« Un article qui indique peut-être une piste pour éviter l’instrumentalisation des associations ; légiférer pour interdire les pressions sur les « lanceurs d’alerte ». » (DC)


Environnement. Un collectif dénonce les atteintes à la liberté d’informer.
Des «lanceurs d’alerte» sonnent l’alarme
par Eliane PATRIARCA
LIBERATION, vendredi 10 mars 2006

Mardi, Etienne Cendrier, coordonnateur de l’association de lutte contre les excès de la téléphonie mobile Priartem, comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Paris, poursuivi en diffamation par deux opérateurs : Orange et SFR. Dans un article de novembre 2003, dans le Journal du dimanche (JDD), il évoquait les risques pour la santé de l’exposition aux antennes-relais (sujet sur lequel il n’y a pas de consensus scientifique) et dénonçait les pratiques des opérateurs. Hier, un collectif de scientifiques, d’avocats, d’élus et d’associations, signataires d’une pétition de soutien à Etienne Cendrier (1), a dénoncé cette «offensive des opérateurs de téléphonie contre les lanceurs d’alerte». Le journaliste du JDD qui a relaté les propos de Cendrier est, lui, poursuivi pour complicité de diffamation.

Les lanceurs d’alerte, ce sont ces hommes et ces femmes, souvent des chercheurs, qui, à titre individuel ou collectif, estiment devoir alerter la société sur les risques potentiels pour la santé et l’environnement de nouvelles technologies, nouveaux médicaments ou produits chimiques… Au risque de s’aliéner les lobbies industriels.

Aux Etats-Unis ou en Angleterre, on les appelle whistleblowers (Libération du 6 mars), et ils sont protégés par des lois spécifiques. En France, ils sont plutôt contraints au silence, «placardisés», parfois virés de leur entreprise. Ou encore poursuivis en justice. Pour les protéger, un projet de loi a été déposé en novembre par le sénateur PS Claude Saunier. Ciblé sur le champ de la santé et de l’environnement, il exclut, à l’inverse de ce qui se passe aux Etats-Unis, la dénonciation de pratiques professionnelles frauduleuses. «Sans les lanceurs d’alerte, sans la presse qui se fait l’écho des débats et des actions, les scandales de la désinformation au moment de Tchernobyl, ceux de l’amiante, des éthers de glycol, de la dioxine, des OGM, seraient passés inaperçus», estiment les signataires de la pétition.
Parmi eux, on trouve justement plusieurs «lanceurs d’alerte». Comme André Cicolella, chercheur en santé environnementale, responsable santé des Verts et fondateur de Sciences citoyennes. Lui-même a été viré pour faute grave de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) en 1994 pour avoir voulu dénoncer la nocivité des éthers de glycol, des produits soupçonnés de provoquer cancers, stérilité et malformations, aujourd’hui interdits.
Et aussi Michèle Rivasi, fondatrice de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad). «En 1986, les autorités françaises affirmaient que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à nos frontières. Nous avons créé la Criirad pour connaître la vérité, pour faire des mesures contradictoires… Mais il a fallu près de vingt ans pour que, en 2005, des experts dénoncent officiellement le mensonge de l’Etat», rappelait-elle hier. Autre signataire : Corinne Lepage, présidente du Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique. «On nous rebat les oreilles du principe de précaution, mais on poursuit, en s’abritant derrière le secret industriel, ceux qui posent les bonnes questions sur les OGM, le nucléaire, les antennes-relais», s’insurge-t-elle. Les signataires de la pétition demandent la relaxe d’Etienne Cendrier.

(1) www.soutienauxlanceursdalerte.com