FAIR est un forum pour d’autres indicateurs de richesse, avec et pour les citoyens. Ce projet a été présenté au Forum des Peuples à Rio le 17 juin 2012 et lors d’un side event dans le cadre du sommet officiel Rio+20 le 21 juin 2012.


FAIR est un forum pour d’autres indicateurs de richesse, avec et pour les citoyens. Site du forum FAIR

Ce projet a été présenté au Forum des Peuples à Rio le 17 juin 2012 par Georges Menahem et Mutthiah Yogananthan, en présence de Brigitte Gloire (Oxfam Solidarité) et Antoinette Brouyaux (Associations 21, partenaire de FAIR pour l’organisation de cet exposé).

Il a ensuite fait l’objet d’un 2ème débat le 21 juin 2012 dans le cadre du Sommet officiel Rio+20 (side event). Isabelle Cassiers (UCL) y intervenait aux côtés de ses partenaires Georges Menahem et Mutthia Yoganantha (Cf. 2ème partie de cet article).

Le 17 juin 2012, les questions suivantes ont été abordées:

 Pourquoi les initiatives et la participation active des citoyens sont-elles nécessaires ? Comment les organiser ?

 A quoi se rapportent les indicateurs et que sont les micro-indicateurs, à l’échelle des entreprises, ONG… ?

Histoire des indicateurs

Le PIB, emblème du productivisme, rencontre des oppositions depuis 1972, cfr « Limites de la croissance » car il ne prend pas en compte les aspects sociaux et environnementaux. Ces luttes idéologiques ont remonté jusqu’aux Nations Unies qui mettent en avant de nouveaux indicateurs pas tout à fait alternatifs mais qui posent au moins le problème : cfr étude du PNUD en 1990 sur base de laquelle a été développé l’indice de développement humain (IDH). En 2006, à Istambul, l’OCDE organise une conférence sur le sujet. Puis c’est au tour de la Commission Européenne qui organise à Bxl avec le WWF en 2007, « Beyond GDP » (au-delà du PIB). De son côté, la Banque Mondiale a mis au point l’« épargne nette ajustée », qui a ses vertus et ses limites. Elle prend en compte les variations du patrimoine : capital humain, naturel, financier. Mais on peut compenser l’un par l’autre pour aboutir finalement à un seul chiffre. A ce jeu là, la Chine est championne !

Contexte de Rio+20

Dans le § 111 du 1er zéro draft, il était dit que le PIB était insuffisant, qu’il faut aller au-delà. FAIR a envoyé un input pour aller plus loin, craignant que le texte en l’état prépare le terrain pour l’épargne nette ajustée. Cet indicateur mis au point par la Banque mondiale considère en effet que les capitaux humain, environnemental, et financier sont parfaitement substituables … Dès lors, les détériorations du capital naturel peuvent être compensées par des suppléments d’épargne financière ! C’est pourquoi la Banque Mondiale fait pression pour donner un prix à la nature. Cela lui permet d’évaluer la dépréciation des biens naturels pour montrer qu’elle peut être compensée par des gains en capital humain (des suppléments d’éducation) ou par des augmentations de l’épargne financière, comme en Chine par exemple.

Mesurer quoi, pourquoi, comment

Dans le débat sur la financiarisation des services écosystémiques, l’argument massue du WWF, c’est la volonté que le prix d’un produit soit le reflet exact de conditions de production soutenables, tant au plan économique que social et environnemental. Mais ces coûts sont-ils commensurables ? Non.

En fait il faut distinguer prix, coût et valeur. Quand on parle de monétariser, il y a un consensus social sur le fait qu’on ne va pas donner une valeur à la nature. Mais comment va-t-on modifier le comportement des gens si on ne les oblige pas à payer plus ? C’est la logique de l’UE qui veut taxer les importations d’Inde ou de Chine. Faire payer plus cher un produit qui dégrade l’environnement, pourquoi pas, vu qu’il faut si possible réparer physiquement le dommage. Cela coûte, cfr Jacques Richard, professeur Français de comptabilité qui propose d’émanciper la comptabilité de la domination du capital financier pour la penser globalement. Ensuite, il faut trouver de moyen d’empêcher des gens de détruire la nature et s’ils l’ont fait, les obliger à la restaurer.

Il faudrait interdire par exemple les championnats de Formule 1. C’est la conviction d’une élite éclairée. Certains crient à la « dictature écologique ». Ce mot n’est pas forcément négatif, mais il est tabou. On préfère parler de  « régulation », ce qui est l’élaboration démocratique des lois. Dès lors il faut les faire accepter, ce qu’on n’arrive pas à faire actuellement pour les contraintes fortes en vue de préserver l’environnement.

Elaboration des indicateurs par les citoyens

Il y a déjà eu beaucoup de travaux sur le contenu des indicateurs, mais pas tellement sur les modalités de leur élaboration. Dans le cadre d’un programme de recherches du Conseil de l’Europe (Le bien-être pour tous. Concepts et outils de la cohésion sociale), l’idée a fait son chemin, notamment en Belgique (cfr site fédéral et chantier des indicateurs en Région Wallonne).

La construction des indicateurs n’est pas un problème technique. Le bien-être de tous dépend d’une vision globale. Est-ce possible d’être bien si une partie de la population ne l’est pas ? Et si on ignore les générations futures ? L’être humain n’est pas complètement égoïste…

Que concernent les indicateurs ? La plupart des gens pensent d’abord à leur environnement immédiat. Ensuite la région, le pays, des régions plus globales, puis des groupes de gens (d’intérêt commun), entreprises, ONG & syndicats, partis politiques…

Il y a même des indicateurs pour les familles, qui ne font pas l’unanimité parce qu’un indicateur a une fonction normative. Tout le monde ne veut pas des normes à cette échelle là. Cependant, la famille est la cellule de base de la reproduction sociale de normes. Ex. l’interdit de l’inceste. Et le fait que toutes les normes volent en éclat au niveau familial est une indication que la société est en mutation. Mais c’est vrai qu’il faut tenir compte du fait que les normes familiales sont très différentes d’une culture à l’autre, d’un continent à l’autre. Ex en Inde il est normal que le frère du père s’occupe des enfants si le père est absent.

Comment organiser la participation des citoyens ?

Cfr expériences dans l’état d’Acre au Brésil, à Bogota en Colombie, en Roumanie, en Italie, en France dans le Nord-Pas-de-Calais, à Mulhouse, Dunkerque, en Bretagne… Et également en Wallonie (cfr projet Well-Be-Be). FAIR est soutenu par la Fondation France Liberté.

À Acre, les gens veulent surtout préserver la forêt, et leurs modes de vie traditionnels qui ne sont pas basés sur l’échange monétaire. De ce fait ils n’ont pas le sentiment d’être pauvres. Par contre à
Rondonia, il y a eu la déforestation, les cultures de soja OGM et l’industrie de production de viande de boeuf, une des plus polluantes en matière d’émission de CO2. Là, la quasi totalité des échanges est monétarisée. D’où la question « faut-il s’inspirer plus d’Acre ou de la Banque Mondiale ?

En Colombie, « Vamos Bogota » a démarré en 1998. Là, la constitution de 1991 donne aux citoyens le droit de demander des comptes sur les activités des administrations. Ils disposent d’ indicateurs en matière d’éducation et sur l’égalité des biens et services fournis par le service public. Avec ça, les citoyens peuvent évaluer la performance des promesses électorales. Le projet « Como vamos » souligne l’importance du résultat des enquêtes diffusées dans tous les médias. Ça passe à la TV. Le succès est contagieux : d’autres villes d’Amérique du Sud ont suivi : Medelin, Cali, Sao Paulo…

La région du Nord-Pas-de-Calais a choisi une approche territoriale basée sur des conférences de citoyens. Cela a abouti à la mise au point d’indicateurs régionalisés –> cartes de l’IDH pour les départements et même les communes, et à un indicateur de santé sociale. Ce sont des moyens d’éducation et d’objectivation des insuffisances.

Le Conseil de l’Europe a, lui, posé 3 questions : « que veut dire le bien-être pour vous ? Et le mal-être ? Et qu’êtes-vous prêts à faire pour contribuer au bien-être ? »

Des réponses ont été élaborées à Timisoara en Roumanie, à Rovereto en Italie et à Mulhouse en France. L’expérience a aussi été menée dans l’entreprise Strassel de Strasbourg où tout le personnel a été impliqué (200 personnes). C’était un investissement, qui a considérablement amélioré le climat social. Du coup ils ont gagné plus d’argent, même si ce n’était pas le but au départ ! Des lycées se sont également prêtés à l’exercice. Il fut question non seulement du bien-être pour tout le monde y compris pour les générations futures, mais aussi du sentiment subjectif de bien-être en relation avec le fait de bénéficier de biens (objets) et de services.

L’implication des citoyens permet une perspective transversale. C’est un processus d’apprentissage mutuel qui ne coûte pas cher. Et ceci fait, la mise en oeuvre est plus facile parce que tout le monde a été impliqué.

Lors de ces expériences, il fut notamment question des biens intangibles : les droits humains, la démocratie, l’état de droit, les mécanismes de régulation. Il faut remarquer que dans de nombreux pays, l’état de droit existe dans les formes mais pas dans la réalité… Pour cela aussi il faut des indicateurs : ex le turn-over du personnel politique, les dissidences…

Propositions d’indicateurs politiques :

  1. Le rapport au pouvoir : pouvoir de faire quelque chose ou pouvoir qu’on capte : ex. le temps qu’on s’accroche au pouvoir ou le nombre de mandats qu’on monopolise. L’accumulation des responsabilités est tout aussi problématique que l’accumulation de biens matériels. C’est une forme d’accaparement.
  2. L’identification ou son absence : nationalisme, esprit de clocher…
  3. L’ambition ou son absence : jusqu’où évolue-t-on dans tel parti sans ambition, etc.
  4. Identification de tous les stakeholders, même ceux qui n’ont pas le droit de vote.

Même quand on discute, on peut avoir une ambition de résultat. Les Hindous, eux, font ce qu’ils doivent faire, il n’est pas question pour eux d’ambition. Le choix des indicateurs est donc éminemment culturel

A l’échelle familiale, comment sont partagées les tâches, les responsabilités, l’autorité ? Qu’est-ce qui est discuté ou pas ? Quelle est l’importance des secrets de famille et comment l’histoire (la grande via la petite) est-elle transmise ? Ainsi, les indicateurs familiaux permettent d’intéresser les gens (surtout les femmes, semble-t-il) à la problématique des indicateurs.

Micro-indicateurs : exemple de l’entreprise

Est-ce que l’entreprise appartient à ses actionnaires ? Ou bien à ses dirigeants ? Aux employés ? Au territoire sur lequel elle est située ? Quid du lien avec toutes les parties prenantes ? Quelle qualité de dialogue ? On parle en anglais de « shareholders » cela rejoint l’idée des coopérateurs.

Cette approche non exhaustive ne résout pas tout, on le voit avec les grandes sociétés mutuelles. Mais l’idée que l’entreprise a 3 types de résultats, s’est institutionnalisée. Si on pousse plus loin l’analyse, on voit que résultats financier et économique sont des choses différentes. Quant au résultat social, il n’inclut pas seulement le personnel mais aussi les stake-holders. Puis il y a le résultat environnemental.
Les engagements sociétaux complètent le résultat global.

Parfois, ces engagement dépassent le cadre de l’entreprise, via une fondation ou un institut de recherches. Il ne faut pas voir cela nécessairement comme une « compensation » : toute l’activité doit être pensée en termes d’impacts. Le DD, ce n’est pas du mécénat ! Tout comme le climat n’est pas qu’une affaire d’environnement : il conditionne tout le reste. Idem pour la bio-diversité.

Résultats environnementaux : mesures pour éviter les impacts négatifs ou les réparer, préserver et régénérer les ressources. Comment identifier en quoi l’entreprise dépend la nature ? Ca dépend de son activité. Celle qui fabrique des GSM dépend du lithium. Le fait que l’entreprise prenne conscience de sa dépendance à la biodiversité, aura un impact sur la gestion de ce problème.
L’industrie nucléaire française s’est accaparé l’uranium du Niger presque gratuitement pendant des années… Quel impact sociétal ?

Indicateurs pour les travailleurs en entreprise : analyse du personnel par genre, activité, situation, catégorie ; conditions de travail, sécurité dans l’entreprise…

Propositions d’indicateurs pour les ONG :

 honnêteté intellectuelle quant à la vision et aux et objectifs

 indépendance dans la manière de remplir ces objectifs : ex. au Sri Lanka, pour qu’une ONG internationale puisse être accréditée, ils devaient se taire sur un certain nombre de choses, ou éviter certains territoires.

 légitimité (lien vers le rapport sur le rapport entre associatif et politique)

 sincérité et transparence du rapportage financier et du rapportage en général

 cohérence (je fais ce que je dis)

 rigueur, vérification des sources

 Mesure de l’efficacité

Indicateurs pour les médias :

 à qui ils appartiennent

 qui les finance

 s’ils sont financés par le public, comment respectent-ils leur contrat de gestion et comment en rendent-ils compte.

On peut faire de même avec les administrations et institutions culturelles, sportives….

DEUXIEME PARTIE

Les indicateurs en chantier

Les indicateurs sont des choix politiques et non techniques. Il faut voir quel but ils visent : ex réduire les inégalités. Dans l’approche territoriale, on peut nuancer les mesures du bien-être et des inégalités.

Pour mesurer les droits humains, il faut des indicateurs sur les différentes sortes de corruption, la persécution des journalistes et des avocats, les outils pour maintenir au pouvoir ceux qui y sont… Aussi sur les lois qui peuvent être bonnes, mais non ou mal appliquées.

Les indicateurs ne servent pas à tout monétariser. Les résultats visés sont le global, le social et l’environnement. Le mot « économie » est trop souvent assimilé à « fin ».

Pour les indicateurs sociaux, on manque d’outils. Et certains indicateurs existants posent problème. Ainsi, une des limites de l’empreinte écologique est géographique : quelle est l’empreinte écologique de la Chine, qui produit beaucoup pour l’exportation ? Quant aux pays développés, ils ont une dette. On vit au-dessus de nos ressources !

Ce chantier sur les indicateurs est en cours. Les choix ne doivent pas émaner (en tout cas pas uniquement) des experts. Il faut un choix collectif au terme d’un débat démocratique. D’où la frustration qu’on n’arrive pas avec des propositions toutes faites. Il ne faut pas beaucoup, par ex. 3 par secteur ou thématique. Sinon ce sera impossible à vulgariser. Bref, il faut une bonne balance entre leur nombre et la manière dont chacun pourra se reconnaître dans ces indicateurs.

Participation : quelle maîtrise du résultat ?

Certes, le choix des indicateurs doit être démocratique. Mais par exemple, que fera un État productiviste si, sur base d’un indicateur de mesure du bonheur, ses citoyens disent qu’ils ne veulent plus consommer ? Obtiendra-t-on la réponse qu’on espère ?

La plupart du temps, quand on demande aux gens ce qui les rend heureux, la réponse n’est pas liée à la consommation. On ne naît pas consumériste. De plus on peut indiquer qu’on forme ces indicateurs dans le respect des limites planétaires. A partir de là, les personnes impliquées sont très inventives. On le voit par exemple dans des processus comme les villes en transition.

La méthode participative fait émerger des indicateurs bien adaptés aux spécificités de chaque secteur. Mais alors, on se retrouve avec des indicateurs différents selon les contextes. Or il en faut aussi qui soient communs à tous Comment atteindre ce but avec une méthode participative ? Ne faut-il pas aussi accepter que la participation amène des choses qu’on n’attendait pas ?

Il faut commencer par définir ce dont on a besoin et se focaliser là-dessus. On peut aussi faire des synthèses d’indicateurs. Mais il y a des choses qu’on ne peut pas mélanger, ex les limites des ressources physiques et objectifs sociaux.

Consommation et bonheur en débat

Il est dit que les gens savent que la consommation ne fait pas le bonheur. On connaît en effet le poids de la publicité, mais alors pourquoi la majeure partie des citoyens européens votent-ils pour des partis productivistes ?

La démocratie représentative dans nos pays ne fonctionne plus. Nous y sommes pourtant très attachés. Pour la consommation comme pour la production, il y a beaucoup de désinformation. Les économistes délivrent aujourd’hui des messages non durables et le système éducatif ne rencontre plus les défis du moment.

Les processus électoraux produisent des oligarchies. Un indicateur du malaise que cela provoque, est que beaucoup de gens ne vont plus voter.

Une récente publication américaine sur l’index de bonheur faisait état d’une étude menée sur 40 ans, ce qui permet de confirmer des tendances, vu les moyens déployés. Les résultats ne montrent aucune corrélation entre bonheur et croissance ou consumérisme mais bien avec la qualité. La conclusion de l’étude était claire et basée sur des évidences scientifiques. Son langage très académique présentait certes une association négative entre les inégalités dans les revenus et le bonheur pour les revenus faibles et moyens, mais pas pour les plus riches. C’est là tout le problème ! Ceux qui accaparent et en profitent, eux, veulent continuer !