Cette chronique n°5 est une plongée dans l’univers de SOS Enfants.

Alors que le débat fait rage au sujet de la date de réouverture des écoles, voici l’écho d’une association de terrain sur la santé psychologique des enfants.

Véronique Sion est coordinatrice de SOS Enfants Mons. Nous l’avons interviewée le 16 avril 2020.

Le constat de son équipe : la crise du covid met très fort l’accent sur la maladie physique mais les répercussions psychiques sont dommageables aux soignants tout autant qu’aux particuliers, en particulier les enfants !

As21 : Comment les personnes fragiles vivent-elles le confinement… Qui dure !?

VS : sur le plan psychologique, ça craque de plus en plus. La Police est appelée de plus en plus régulièrement par des familles, SOS Enfants a également reçu un signalement relatif à une décompensation psychique. Tout est exacerbé, les conflits qui étaient latents explosent, les angoisses internes sont amplifiées par le confinement, et par les dangers inhérents à cette pandémie.

La maladie physique, on sait par quoi elle passe. Sur le plan psychique, c’est le no man’s land complet. Cette pandémie est inédite pour tout le monde, y compris les professionnels. Et ce côté inédit génère également des angoisses.

Hélène Delucci, qui est une spécialiste des traumatismes, explique bien que lorsqu’il y a une catastrophe, le réflexe est de se rassembler. A présent, il nous faut faire l’inverse de ce qui est psychiquement nécessaire.

AS21 : croyez-vous que ce confinement aura des effets à long terme ?

VS : certainement, on va devoir encaisser les dégâts sur le plan psychique, bien au-delà du confinement. Avec SOS Enfants, nous insistons toujours sur le fait que l’équilibre des enfants dépend de l’équilibre des parents. Les enfants ont besoin de rituels pendant la journée. C’est cela qui structure un enfant. L’école apporte cette structure. S’il n’y a pas d’école, l’enfant à la maison doit pouvoir vérifier que – à travers tout ce qui change – il y a des éléments qui subsistent, rythmant la journée. Des moments de plaisir, les repas, le sport…

Si parents, accaparés par le stress, n’ont pas cette capacité de structurer la vie familiale, les enfants ne peuvent plus se raccrocher à rien. Quand ils voient que leurs parents tiennent le coup, les enfants sont rassurés. Quand ils les voient éclatés, leur terreur est renforcée car leur modèle s’écroule. Normalement, les parents sont tout puissants, ils savent tout. Quand ils ne savent pas gérer une situation, le danger est imminent. D’autant plus qu’avec le confinement, les enfants n’ont pas d’autres tuteurs de résilience…

Les parents se retrouvent en confinement mais en plus ils n’ont pas du tout l’habitude de passer tout ce temps avec leurs enfants : par exemple, un papa qui a des aides familiales et autre consultations psy, se repose beaucoup sur ce réseau extérieur. L’équipe de SOS Enfants essaye de maintenir ce réseau virtuellement mais dans la réalité, ce réseau n’est plus là. Ces parents fragiles ont des difficultés à ritualiser, raconter une histoire… Il y a des manques importants chez certains. C’est compliqué d’éduquer les parents à éduquer. On n’a pas eu le temps d’anticiper…

As21 : Pensez-vous que cette crise aura aussi des répercussions sur votre manière de travailler ?

VS : certainement. J’insiste beaucoup dans l’équipe pour qu’on passe du temps à faire de la psycho-éducation. Tirons les leçons de cette expérience : pour éduquer à éduquer, il y a vraiment plein de choses à faire !

Heureusement nous sommes soutenus par beaucoup de réseaux, ONE et Yapaka bien sûr mais également le réseau EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), qui envoie beaucoup de publications : il s’agit d’une méthode de prise en charge thérapeutique spécialisée des traumas, agréée par l’OMS. But : décoincer les choses pour qu’elles ne deviennent pas obsessionnelles. C’est une psychothérapie orientée solutions. Le traumatisme est le résultat d’une impuissance, suite à une situation qu’on n’a pas su gérer. La pandémie et l’angoisse ambiante réactivent des traumas, des peurs plus anciennes.

Des membres d’équipes soignantes aussi développent des stress post-traumatiques. Des protocoles circulent pour prendre en charge les soignants. Des séances se font en vidéo-conférences. Des collègues de SOS Enfants le font bénévolement, pour éviter / anticiper les stress post-traumatiques.

As21 : on entend trop souvent parler des enfants en détresse, sans mentionner leurs familles. Ne faudrait-il pas remettre le focus sur l’aspect systémique des familles ?

VS : bien sûr, c’est une alchimie. Si les parents parviennent à se sentir compétents, puissants – ne fut-ce que pour décider de rester confiné – il y a de grandes chances que les enfants restent en équilibre.

Pour les adolescents, c’est un peu plus compliqué, vu l’importance de la relation à l’extérieur et des liens sociaux, pour pouvoir se définir. Cela dépend aussi de l’entente entre l’ado et ses parents. Si conflit il y avait, il va être exacerbé.

En tant que maman d’ados, en général je limite les jeux en ligne. Pour le moment, je suis beaucoup moins regardante. Par contre, je veille à garder le rythme de la journée : se lever, s’habiller… Tout passe par l’exemple.

As21 : travaillez-vous autrement, vu le confinement ?

VS : oui, vu qu’on fait des vidéo-conférences, j’organise deux entretiens de 20 minutes, plutôt qu’un entretien d’une heure. Je leur fais faire des exercices : ex. créer un conte, pour les aider à repérer leurs émotions et à les nommer, à apprendre à s’observer. Nous faisons aussi des exercices de respiration, de cohérence cardiaque. En EMDR, on parle du travail avec le contenant et le lieu sûr. Il y a aussi des techniques d’auto-hypnose pour pouvoir se ressourcer dans sa bulle interne, s’apaiser à certains moments de la journée.

A SOS Enfants, au début du confinement, on avait moins de nouvelles demandes. Maintenant elles sont en augmentation forte, que ce soit par téléphone ou vidéo-conférence. A présent certains entretiens se font à nouveau au siège de SOS Enfants. Dans certaines situations, ce n’est pas possible autrement. En tout cas nous reprendrons avec beaucoup de sécurité, avec le rituel du lavage des mains, etc. C’est important aussi.

As21 : Que pensent les familles du déconfinement ?  

VS : il y a 2 types de réactions. Certains disent : « on sait bien que ce n’est pas fini ». D’autres qui ont besoin de sortir du confinement, s’accrochent à la date. Quand la date est postposée, c’est un effondrement supplémentaire. Attention au message qu’une date annoncée est une date de réévaluation.

Il faudra des mois pour récupérer au niveau psychique. Le propre du traumatisme est qu’il reste actuel, même 10 ans après. Et ce dans toutes les catégories d’âge…

SOS enfants, ce sont 14 équipes en Fédération Wallonie Bruxelles, par arrondissement judiciaire. Toutes ces équipes continuent à travailler pendant le confinement. Cela demande beaucoup de gymnastiques de la part du personnel, surtout celles qui sont en hôpital !

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