La clé de l’innovation sociale dans la rénovation énergétique

Du 15 au 18 janvier 2024, la Belgian renovation week, organisée par la Wallonie et Climact dans le cadre de la Présidence belge de l’UE, a réuni un large éventail d’intervenants tant du secteur de la rénovation que des acteurs sociaux, environnementaux ou scientifiques, de Belgique et d’autres pays européens.

Nous étions plusieurs de la société civile présents le dernier jour, dédié aux innovations sociales à « débloquer ». Jean-Yves Saliez, à la manœuvre, nous invite à poser les questions qui dérangent, car on a trop tendance à présenter un narratif qui ne répond pas à la réalité. Mieux vaut partir de cette réalité : qu’est-ce qu’on a mal prévu ? Pourquoi les obtentions de permis sont si lentes ? Et pourquoi l’épargne d’énergie est moindre que prévu, une fois les travaux de rénovation terminés ?

Rob Hopkins, bien connu des transitionneurs, nous invite à voyager dans le temps, exemples à l’appui, pour aller voir comment est le monde souhaité en 2030. On sait qu’on n’arrivera pas à rester sous 1,5°C sans mesures drastiques. Mais pour y parvenir, il faut montrer une image positive du futur. Nous avons aussi besoin de beauté. Montrons celle du monde que nous souhaitons plutôt que de nous complaire dans des visions catastrophistes. Entraînons-nous pour ce qui n’existe pas encore. Pratiquons l’utopie au quotidien. N’ayons pas peur d’être ridicules !

Audrey Contesse, de l’Institut Culturel d’Architecture (ICA-WB), présente une approche régénérative de l’architecture : partir de ce qui est déjà là, pour une cité « palimpseste », en valorisant les traces des usages successifs tout en adaptant les constructions aux nécessités présentes. Un bel inventaire 2020-23 des architectures de Wallonie et de Bruxelles a été publié.

Intégrer les dimensions socio-techniques de la rénovation dans le soutien aux ménages

Sanne De Wit, d’EnergieSprong (Pays-Bas) montre des exemples de suites de bâtiments existants transformés en bâtiments passifs par une isolation extérieure. Selon Pascal Lanselle du Réseau de l’Assistance à la Maîtrise d’Usage (FR) l’usage final doit être mieux prix en compte dans la facilitation socio-technique. Les changements d’habitudes prennent du temps, il faut être persévérant et viser aussi le voisinage, pas seulement le bâtiment.

Stefan Goemaere du projet Papillon (SAAMO, Flandres occidentales) est un travailleur social qui aide les ménages démunis à réduire leurs dépenses énergétiques sur base de l’économie circulaire : les électro leur sont proposés en leasing pour 10 ans, les réparations sont gratuites (accord avec Bosch). 281 familles adhèrent au projet depuis 2010.

Geoffrey van Moeseke (UCLouvain) présente SlowHeat: si on portait des vêtements de ski chez nous, le problème du chauffage domestique serait résolu ! Plus sérieusement, le projet pilote bruxellois a permis de médiatiser le déplacement du focus de la technologie vers l’utilisateur. Il n’y a pas que la rénovation. L’objectif de réduire les émissions de GES doit être contraignant mais pas la manière de l’atteindre car plusieurs voies sont possibles.

Vu le coût de la rénovation énergétique, la conception de celle-ci coûte peu et est fondamentale. Visons ce sur quoi les ménages ont la maîtrise : pour beaucoup de locataires, le slow heat n’est pas un choix. D’où l’importance de les écouter, de répondre à leurs besoins tout en les impliquant.

Le profil du coach idéal en rénovation

Valérie Barlet (Renocity), est mandatée par le secteur verrier pour initier des rénovations groupées. Après Alors, La Louvière a été ciblé. Les habitants sont invités à faire une simulation énergétique en ligne, puis à demander un audit énergétique. Sur base du rapport d’audit, le coache collecte les devis et les leur présente. Le coach va jusqu’à contrôler la réception des travaux exécutés. C’est dire si son travail est considérable, ce qui questionne la durabilité du projet, malgré son succès et les bons résultats obtenus (à Alost, les rénovations ont triplé).

Florence Lepropre gère le projet Renoplus (RW, Buildwise, Embuild & Greenwin). Leur « one stop shop » facilite la vie des commanditaires, le but étant de massifier les rénovations. Un projet en cours à Braine l’Alleud vise la rénovation de 30 maisons.

Britt Berghs d’Antwerpen voor Klimaat, est coach depuis 2018 et guide les copropriétés (immeubles d’appartements) dans la planification des travaux et les contacts avec les professionnels. Elle jongle avec d’une part de larges groupes et la guidance individuelle, nécessaire avec certains ménages. Pour les expertises techniques ou financières, elle s’en réfère aux professionnels.

Ces différentes coaches (toutes des femmes !) s’accordent sur le fait qu’il faut allier la standardisation des opérations à une approche individualisée. Certains ménages demandent conseils, d’autres veulent comparer eux-mêmes.. L’important est qu’ils gardent une maîtrise. Il faut partir de ce qu’ils ont déjà. De là, on retourne au collectif avec les professionnels. La contrainte temporelle est avantageuse pour les fournisseurs, elle crée aussi un momentum pour les citoyens : on veut en être !

Bien sûr, l’approche de ces porteuses de projet évolue dans le temps. Il faut tout apprendre : législation, financement… Massifier ne suffit pas. Le système n’est pas adapté pour les rénovations collectives. Le financement reste la clé : la plupart des gens sont motivés d’investir dans leur habitation s’ils en ont les moyens. 25% ne le peuvent pas (à Anvers). On ne peut pas les laisser tomber.

Les coaches collaborent aussi avec des travailleurs sociaux, l’approche est multidisciplinaire : questions de salubrité, de fournisseur d’énergie… Il faut combiner le contact social avec l’efficacité ! Le « time management » est une compétence cruciale… Les coaches réclament une simplification administrative !

Comment passer des projets individuels aux collectifs ?

Selon Grégoire Wallenborn (ULB), la transition énergétique n’est pas seulement technique, les normes sociales doivent évoluer car la norme actuelle exige des dépenses énergétiques trop élevées (cf. SlowHeat).

Maarten De Groote mène le projet Energyville de VITO. Il ne faut pas investir plus d’argent en général, il faut l’investir autrement. Le pré-financement pose problème : avant, on avait plus facilement un crédit. Les responsabilités des propriétaires doivent être assorties d’obligations. Les porteurs de projets pilotes peuvent s’adresser au projet européen Citizen Net Renovation en demandant une aide pour un besoin spécifique.

Quentin Jossen gère la rénovation collective de La Roue (quartier d’Anderlecht) pour Climact. Pour convaincre les ménages de se joindre à une rénovation collective, il faut pouvoir leur garantir que l’opération coûtera moins cher à chaque partie, ce qui n’est pas évident, quand le bâti est hybride. Il faut en moyenne 1000 m² minimum du même travail pour atteindre une économie d’échelle. Cependant, les processus industriels ne sont pas toujours adaptés. Vu les exigences élevées, trouver des fournisseurs n’est pas facile.

Au-delà de ces promesses de gain, qu’avons-nous à partager ? La distribution d’eau et d’électricité est collective : pourquoi pas le chauffage ? Dont la norme standard est 20° pour les équipements collectifs : baisser cette norme contribuera à faire évoluer la norme sociale. La plupart des possesseurs de panneaux photovoltaïques le sont à titre individuel. Cela aussi évolue, avec l’émergence de communautés d’énergie. A Genk, le stade de foot a été connecté au quartier : lors d’un match, le transfert d’énergie va du quartier au stade. La plupart du temps, c’est l’inverse. Si l’on considère l’électricité comme un commun, on vise la ressource mais aussi sa gestion.

Quels sont les arguments pour convaincre les ménages de participer à une rénovation collective ?

  1. le gain économique
  2. les expériences positives, les bons exemples
  3. la convivialité

L’industrialisation, c’est le back office. Le front office, c’est le contact humain.  Les incertitudes rompent la confiance. Aussi le fait que cela prend beaucoup de temps… Un argument : faciliter les demandes de permis d’urbanisme en les regroupant.

Quid des locataires ?  En Flandres, le relèvement de la norme PEB pour les bailleurs est un incitant, voire le seul pour rénover les logements mis en location : la différence sur la valeur du bien est de 20 à 30%. Les propriétaires ont besoin de contraintes, mais celles-ci font monter les prix. Attention aux obligations  qui creusent le fossé social.

Grégoire Wallenborn est sceptique sur le réalisme des ambitions climatiques vu le coût, les besoins de main d’œuvre, de matière… En tout cas pour les propriétaires occupants, la contrainte devrait être une limite de consommation énergétique à ne pas dépasser (quel que soit le moyen d’y parvenir, cf. SlowHeat).

Comment réduire les inégalités via la rénovation énergétique ?

Et comment mettre en place des obligations de rénovations équitables ?

Julien Dijol (Housing Europe): avec le vote de l’Energy Performance of Buildings Directive (EPBD, qui nécessite encore un vote formel au parlement européen en mars) il y a une nécessité d’avoir des standards énergétiques et de performance minimum ainsi que des soutiens financiers pour que la transition énergétique soit juste et équitable. Il faut voir le droit à une vie décente et à l’accès au logement durable comme une partie de la solution.

Françoise Bartiaux (UCL) expose l’importance des études d’évaluation d’impact des politiques publiques, notamment sur les conséquences sociales des politiques de rénovation pour pouvoir réorienter celles qui ne fonctionnent pas bien. C’est encore trop peu réalisé à l’heure actuelle. Comment les ménages utilisent l’argent, pour quoi ? Aujourd’hui l’efficacité énergétique (PEB) est calculée par m² et les subsides sont donnés en nombre absolu; cela désavantage les petits appartements très mal isolés par rapport à des villas immenses.

Pour Aurélie Ciuti (Réseau Wallon Pour l’Accès Durable à l’Energie- Rwadé), une rénovation énergétique équitable ne peut se faire au prix d’une détérioration des conditions de vie des personnes. Une maison mal isolée, comparée à pas de maison du tout, il n’y a pas photo!

La rénovation énergétique doit réduire les inégalités, sinon elle les creusera. Les plans locaux doivent cibler les logements inadéquats et garantir que les ménages les plus en difficulté soient contactés et soutenus. Les mesures ciblant les propriétaires ne peuvent en aucun cas empirer la situation des locataires. Les politiques publiques doivent prendre en compte l’accessibilité financière des logements.

On peut noter une baisse des dépenses publiques au niveau du logement depuis 2019. Or il y a un besoin d’investissements publics, d’une bonne chaîne d’approvisionnement et des corps de métiers formés ainsi que des indicateurs fiables. Il faut prendre en compte aussi la mobilité parce qu’une maison au PEB A mais qui implique que la personne prenne sa voiture tous les jours, ça ne va pas.

Rappelons qu’investir dans l’isolation et la transition énergétique, permet de réduire aussi nos dépenses en santé publique, car les gens vivent mieux, sont moins malades vu que leur confort s’améliore.

Comment mobiliser et soutenir les ménages les plus précarisés ou les locataires avec peu de marge de manœuvre ?

Pour Adrien Roux des Territoires Zéro Logements Passoire (FR), l’enjeu est de construire une identité collective positive. Dans cette expérience, les locataires « héros de la rénovation » ont retenu l’attention des médias. Les pouvoirs publics ont joué leur rôle de soutien de la mobilisation collective.

En France, le budget loyer a doublé en 30 ans dans le budget des ménages. La tension entre propriétaires et locataires s’accroît en même temps que cette asymétrie. Le marché de la location n’est pas consensuel. Pour certains, le logement c’est un toit. Pour d’autres, c’est un produit financier. D’où cette impulsion de plusieurs organisations de la société civile pour construire une force sociale avec les locataires.

Les loyers augmentent après la rénovation quand l’initiative vient des bailleurs. Quand elle vient d’organisations de locataires, des accords sont possibles pour que les loyers n’augmentent pas. A Grenoble, les locataires ont fait pression : « on ne payera plus nos loyers si vous ne rénovez pas ». La Ville les a confortés dans leur position en stigmatisant les « passoires énergétiques ». La problématique a été politisée (plutôt que « dramatisée »).

Quand des organisations de locataires tentent ainsi d’inverser le rapport de force en leur faveur, 70% des initiatives aboutissent. Les 30% en situation de blocage sont montrés aux propriétaires, pour les inciter à rejoindre les 70% ! C’est avec de tels accords entre propriétaires et locataires que la transition sera juste, car négociée. Le narratif a été davantage mis sur le fait qu’il était indécent pour les locataires d’habiter dans ce type de logement et que donc il revenait au propriétaire de rénover. Le narratif n’était donc pas : « appel au bon vouloir du propriétaire sympa qui s’intéresse à l’écologie et veut bien soutenir ses locataires ». La charge était inversée vers le propriétaire qui devait faire de la rénovation, sans quoi son logement est indécent.

Cette expérience française a rebondi à Charleroi, où un « Territoire zéro logement passoire » émerge, dans le cadre de l’appel à projet Renobatex. Il y a là une volonté politique de mener une action avec les bailleurs (Info : cf. RWDH).

Enfin, notons le projet Renopack de la Société Wallonne du Crédit Social qui permet un prêt à 0% et un pré-financement pour des travaux de rénovation énergétique, peu importe l’âge du demandeur (cela permet de concurrencer les banques).

Compte-rendu: Antoinette Brouyaux (Associations 21 et Nadia Cornejo (Greenpeace)