Le 23 mai 2023, notre petit déjeuner thématique en visio était consacré aux indicateurs « post-croissantiels », objet de la thèse de doctorat de Norman Vander Putten : « Quand les indicateurs s’institutionnalisent. Repenser l’au-delà du PIB par le droit de la quantification ».

En bref, la motivation d’Associations 21 à organiser cet échange : renforcer les indicateurs sociaux et environnementaux, en faire un instrument du droit, change l’ordre des priorités. La croissance devient accessoire. Stratégiquement, il peut être plus porteur d’accompagner ce changement plutôt que de perdre de l’énergie dans le clivage croissance/décroissance. Ce n’est pas un hasard si l’UE finance beaucoup de recherches sur la post-croissance. Le Green Deal a mis des objectifs chiffrés forts sur le plan environnemental. L’Etat doit réorienter l’économie et les fonds publics: qu’est-ce qui est vert ou pas? L’exigence de résultat des objectifs environnementaux est un tournant récent. Il revient à la société civile d’accompagner ce changement, sans naïveté mais avec conscience de cet enjeu stratégique…

En introduction, Valentine van Gameren a rappelé le cadre du Partenariat Wallon pour le Développement Durable qui inclut un suivi des progrès de la Wallonie dans la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable (ODD) et partant, le choix d’indicateurs de suivi de ces ODD. La société civile (dont Associations 21) est à présent invitée à prendre connaissance des indicateurs choisis et à formuler des messages clés au gouvernement wallon (d’ici le 15 juin 2023 !) D’où l’appel à Norman Vander Putten pour nous inspirer dans la rédaction de ces messages.

Valentine van Gameren précise que la 3ème stratégie wallonne de développement durable intègre à présent des objectifs chiffrés à l’horizon 2030, qui engagent les gouvernements. Ce sont des balises plus claires que lors des précédents bilans des progrès. Ce monitoring permet d’envoyer des alertes quand nécessaire.

Les organisations membres du Partenariat y représentent les acteurs de terrain et, ayant pris connaissance de ces indicateurs, sont donc bien placées pour envoyer de telles alertes. Encore faut-il que les indicateurs soient pertinents et c’est le moment d’y veiller !

Norman Vander Putten est parti du constat que pendant longtemps, la croissance du PIB relevait du sens commun. Elle est plus en plus remise en cause. C’est le paradoxe d’Easterlin : plus de croissance n’augmente pas le bien-être à partir d’un certain niveau et le ruissellement ne fonctionne pas. Il y a eu aussi les travaux de Thomas Piketti, Tim Jackson… Beaucoup plaident pour sortir de la croissance comme objectif sociétal. Ce projet « post-croissance » regroupe différents mouvements : la décroissance, l’a-croissance (le modèle du Donut) et la croissance verte.

Ces courant contestent le PIB. Le besoin d’une nouvelle boussole quantitative se fait sentir. On évoque les ODD, l’Indice de Développement Humain (IDH), le Bonheur National Brut… Bref, il y a de plus en plus d’initiatives. Mais dans la littérature acadéùoqie, aucun de ces instruments n’arrive à entrer dans le débat.

Le Parlement Européen a déjà organisé deux sessions Beyond Growth mais on peine à trouver des décisions politiques basées sur les ODD, tandis que le PIB, lui, continue à être utilisé tous les jours.

C’est là qu’intervient le droit : le PIB est harmonisé au moyen de textes contraignants, de normes juridiques. Dans le règlement européen on compte 500 à 600 pages. Eurostat effectue des contrôles stricts. Le PIB est le fruit d’une longue histoire. Il a l’air robuste mais c’est un palais d’argile. Le PIB est toujours malléable, fait d’éléments socialement construits et qui peuvent être discutés.

D’où l’idée est que la tuyauterie juridique peut influencer l’importance qu’on accorde à 1 indicateur.

Indicateurs post-croissantiels :

  • Les ODD
  • Les indicateurs complémentaires au PIB
  • Les indicateurs de droits fondamentaux : l’ISADF (indicateurs synthétique d’accès aux droits fondamentaux mis au point par l’IWEPS pour la Wallonie)
  • Les indicateurs de la comptabilité nationale élargie pour faire apparaître les éléments sociaux et environnementaux.

Leur encadrement juridique est plus faible que celui du PIB. En matière de droit à la quantification, la norme mandante est un règlement européen. Il inclut des normes stabilisatrices (Eurostat) et des normes de diffusion actives (rapports, budgets…) Cette norme mandante est faiblement juridicisée : on mandate l’IWEPS qui fait de son mieux dans le cadre du droit général des statistiques publiques mais sans contrôle ni contrainte.

Pour voir comment remplacer le PIB dans le droit, Norman a tapé Ctrl F PIB dans le droit et classé les emplois juridiques du PIB. En plus de mesurer la croissance, celui-ci sert à objectiver la cohésion sociale, à surveiller la dette, à veiller à la proportionnalité des montants mis en jeu. Diverses utilisations sont automatiques.

Pour le remplacer par des indicateurs post-croissantiels, est-il utile d’en créer de nouveaux ? Ou faut-il préciser une norme, un champ d’application, rendre leur recours obligatoire ? Comment ? Assortir ces indicateurs de quantification ? Parfois les gouvernements résistent. L’usage n’est pas systématique et diffère selon les régions. Les données disponibles ne sont pas harmonisées…

Quelles sont les limites à l’utilisation de nombres au jour le jour ? La société civile veut du concret à brève échéance. Mais finalement on gouverne par les nombres. Tout ce qui est invisibilisé par les nombre retenus est effacé…

En tout cas, il y a des outils juridiques pour le droit à la quantification. Les économistes et statisticiens s’intéressent à la qualité des indicateurs. A voir comment on les utilise. Les mandats doivent être légitimes démocratiquement. Mais les indicateurs doivent aussi être flexibles. Ainsi en Wallonie, on a mis l’ISADF dans un décret : c’est problématique.

Attention de ne pas surestimer l’effet propre des indicateurs. On n’a aucune preuve que des indicateurs post-croissantiels aient eu un effet concret. Le PIB a gagné en puissance quand on en avait une utilisation concrète, par exemple au sortir de la guerre.

Certes, l’utilisation l’améliore. Ex la PEB (performance énergétique des bâtiments) : au départ elle était uniquement indicative. Maintenant elle intervient dans l’indexation des loyers. Du coup il faut améliorer sa qualité !

Questions – réponses

Marina Gruslin (EFDD) : le choix des indicateurs en Wallonie se fait-il plutôt sur base de leurs faisabilité ou plutôt sur leur utilité ? Qu’est-ce qui est mesurable, comparable ?

Norman Vander Putten : en effet, on reste dépendants des données primaires disponibles. Ainsi on n’a toujours pas de chiffres institutionnels des émissions de GES sur base de la consommation. Cela a été demandé au bureau du plan. Il y a une première tentative cette année. La Belgique a une tradition de sous-investir dans son arsenal statistique.

Comparabilité : au niveau belge, il n’y a jamais eu de tentative aboutie d’harmoniser entre régions. Reste le cadre de l’Institut Interfédéral de Statistiques. Reste aussi le niveau européen où des rapports par pays sont attendus.

Valentine van Gameren : avant la faisabilité, la Wallonie fait le choix de la pertinence pour suivre les ODD. On partait de zéro. Certes, il y a les 210 indicateurs de l’ONU mais non contraignants et dépourvus de base statistique. Nous avons cherché la meilleure cohérence possible pour la 1ère liste d’indicateurs. Puis nous avons fixé nos propres objectifs, avec des indicateurs existants par ailleurs : le  Plan de promotion de la santé a déjà des objectifs déjà définis, avec des indicateurs qui servent aux politiques concrètement.

Attention : dire qu’on n’a pas de preuves qu’ils influencent, c’est autre chose que dire qu’ils n’influencent pas. Le Plan de Relance influence. Les indicateurs environnementaux sont importants. Ils sont nombreux, du coup c’est complexe d’évaluer leur impact réel.

Il faut aussi voir à long terme : pour l’heure, la comparabilité n’est pas le critère n°1. Et de nouveaux indicateurs se développent. En matière d’éducation au développement durable, pour le moment on n’a pas de données suffisantes, des pistes sont en cours. Ce chantier est essentiel parallèlement à d’autres champs de connaissances plus qualitatives comme la prospective.

Pascal Delvaux, économiste (AVIQ) : la comparabilité est importante et il faut la maintenir entre les producteurs de données. Le déficit de données vient aussi de cette dispersion. Les indicateurs post-croissantiels se basent sur des phénomènes subjectifs et évolutifs. Certes, cette subjectivité reflète les attentes, des besoins : mais le problème, ce n’est pas seulement la construction des indicateurs, c’est  aussi leur interprétation. Par exemple, la démographie change, c’est un facteur important. Il faut différencier le besoin (ex. démographique) et les attentes. Le PIB reste nécessaire. Pour répondre aux attentes, oui, il faut développer des indicateurs complémentaires. Mais bien souvent, on manque de chiffrage, d’évaluation d’impact chiffré.

Norman Vander Putten : les besoins et les attentes, c’est LE gros travail à faire pour définir comment  l’Etat va fonctionner sans croissance. A propos de subjectivité : aujourd’hui on considère que le PIB est objectif. Mais lorsqu’on a commencé à en parler dans les années 30, il était très contesté. Ainsi, pourquoi y inclut-on les défenses militaires ? Pourquoi pas le bénévolat ? Tout cela s’est construit au fil des ans. Avec les indicateurs post-croissanciels, petit à petit, les mentalités vont évoluer. En tout cas les manques ne doivent pas nous empêcher d’avancer. On le voit avec l’ISADF en Wallonie : on avance malgré tout. Quant au système de comptabilité nationale, il va être revu pour y intégrer notamment les critères environnementaux.

Un mot sur les AIR, « analyses d’impact des réglementation » : en général, ce formulaire est rempli en fin de parcours pour justifier une décision politique. C’est contraire à l’intention de ce test visant ex ante à anticiper l’impact d’une réglementation. Le test climat annoncé depuis longtemps en Wallonie n’est toujours pas là. Essayons d’en faire correctement quelques uns !

Marina Gruslin : à propos de l’évaluation des activités d’éducation, si l’on pense à l’impact des indicateurs, les normes de type ISO coûtent. On a déjà un système éducatif très inégalitaire. Les indicateurs reflètent des objectifs qui ne sont pas atteignables par tou·tes. Il ne faudrait pas accentuer les inégalités.

Norman Vander Putten : il y a des indicateurs évaluatifs, descriptifs. Avec les ODD, on suit une stratégie politique. Chaque gouvernement a des objectifs et des priorités différentes. Il ne faut pas se limiter à définir l’indicateur mais inclure aussi sa diffusion dans le cadre juridique. Ex le Donut bruxellois : il y est pour 1 an. Quid de la suite ? Au niveau fédéral, les indicateurs post-croissance doivent être discutés chaque année au Parlement.

Antoinette Brouyaux remercie Norman pour ses explications et lui demande quelle sera la suite de ses recherches.

Norman Vander Putten va à présent plancher sur les finances publiques vertes : qu’est-ce qui est vert ou pas ? That’s the question !

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