Chronique Covid

Du fait de la crise COVID, beaucoup de personnes se sont appauvries. Dans le même temps, les plus grosses fortunes ont en moyenne vu leurs économies et leur patrimoine encore augmenter. Celles et ceux qui ont spéculé dans les secteurs financiers à croissance rapide comme le pharma ou les technologies ont vu leurs patrimoines exploser.

Le 5 janvier 2021, le Réseau pour la Justice Fiscale (RJF) et le Financieel Actie Netwerk (FAN) ont sabré le champagne devant le square des milliardaires à Bruxelles pour célébrer en toute ironie l’injustice fiscale et surtout pour dire stop à la croissance des inégalités. En effet, dès le 5 janvier, les détenteurs des plus grosses fortunes s’étaient acquittés de leur contribution fiscale, proportionnellement à tous les autres contribuables qui ne s’en seront acquittés qu’au bout de six mois de travail.

Pour lutter contre les inégalités économiques, chacun devrait contribuer à l’effort en fonction de la hauteur de son patrimoine et de ses revenus. C’est le sens d’un impôt sur les patrimoines supérieurs à un million d’euros (hors habitation personnelle), réclamé par les organisateurs de l’action #taxjusticenow.

Ces derniers mois, l’importance des services publics et de la sécurité sociale a été mise en évidence. Il ne faudrait pas que ce soit aux victimes de la crise de payer la note, au moment où l’Etat devra se refinancer.

La veille de cette action, le 4 janvier 2021, Financité organisait une « Webullition » avec Bernard Bayot, qui tirait un premier bilan – image certes encore partielle – de l’économie en 2020.

Le 13 janvier, Financité organisait un débat, suivant la projection du film « Le capital au XXIe siècle », inspiré du livre de Thomas Piketti, en partenariat avec le Kinographe, le Musée du Capitalisme et le CNCD-11.11.11. On le voit, ces thèmes socio-économiques reviennent en force début 2021. Merci à Financité de nous proposer des clés de compréhension et de lecture.

Notes d’Associations 21 lors de la Webullition du 4 janvier :

Le PIB est une dimension restrictive de l’économie, c’est néanmoins un indicateur incontournable. En 2019 on a produit pour 476 milliard€ de richesses. Ce chiffre inclut tous les services et biens, marchands et non marchands, publics et privés. Soit par habitant = 41500€ de moyenne. Ce pays crée énormément de richesses.

Impact économique de la Covid : – 22 milliards€, soit une perte de 6,7% du PIB. Que certains estiment plutôt entre 8 et 10%. Ce qui représente 1 mois sur les 12, soit 2677€ par habitant. L’Etat et les régions sont intervenus pour soutenir les personnes et secteurs en difficulté : chômage, droit passerelle… En août, on estimait à 2/3 les compensations pour les particuliers, 1/3 pour les entreprises.

Pour l’Etat, on chiffre la perte en 2020 à 35 milliards€: moins de recettes, plus de dépenses. Et on l’évalue à 25 milliards en 2021 : car le redémarrage va prendre du temps. Le niveau de croissance d’avant la pandémie ne sera regagné que dans 18 mois, soit en 2022. L’Etat va encore devoir intervenir.

D’où vient cet argent ? Concrètement, la Belgique se finance presque sans intérêt pour l’instant, mais cela peut changer. Et les Régions, elles, paient plus d’intérêts. L’agence de notation Modies, qui évalue le risque d’un non remboursement, n’a pas (encore) rétrogradé la Belgique mais a envoyé des avertissements à la Flandre, à la Wallonie et à la FWB en les menaçant de payer plus d’intérêts à l’avenir. Même quand les taux d’intérêt sont nuls ou négatifs, il va quand même falloir rembourser ces emprunts.

Aux USA, le plan de relance annoncé par Biden (2000 milliards€), sera financé aux 2/3 grâce à une augmentation des impôts. Biden entend s’inspirer du modèle du plan Rooseveld. En Europe, le plan de relance (750 milliards€) sera financé par l’endettement (excepté une petite taxe GAFA et un semblant de début de taxe Tobin sur les transactions financières mais qui reste modeste).

Donc les Etats Européens empruntent sur les marchés. La BCE achète de la dette aux banques sous forme d’obligations de l’Etat, d’entreprises et supporte le risque. Elle possède 20% de la dette publique européenne. Par ailleurs la BCE fait tourner la planche à billets. Dans le cadre du PEPP, programme spécial de relance de la BCE, au total 1850 milliards€ de nouvelle monnaie ont été émis.

D’habitude les banques publiques évitent ce scénario de création monétaire par crainte d’inflations, pénalisant surtout les pauvres. C’est comme la TVA, ça pénalise tout le monde. Depuis 6-7 ans, la création monétaire de la BCE n’engendre pas d’inflation. Donc elle continue pour relancer l’économie. Mais personne n’explique ce phénomène. L’avenir est imprévisible.

Surtout, avoir beaucoup de dette qui circule est un facteur de risque, puisqu’on fait circuler le risque. Celui qui le porte n’a plus une bonne connaissance du risque qu’il a acheté. Actuellement, la dette en circulation équivaut à 2,5% du PIB mondial : c’est trop. Le risque est que la bulle éclate. Certes, la crise économique de 2020, causée par pandémie, présente une situation différente à celle de 2008, causée par les banques. Mais à cette crise économique risque de s’ajouter une crise financière, avec son effet domino. Cela peut aller très vite très loin.

L’Europe devrait adopter la voie annoncée par Biden, de passer par une meilleure justice fiscale. Il revient aux plus riches de payer plus d’impôts car les pauvres sont encore appauvris par la pandémie. Le dégât collectif est à assumer collectivement. Evidemment, l’idéal serait que l’Europe ait des ressources significatives, pour éviter le dumping fiscal entre Etats européens. On aurait intérêt à harmoniser. Le marché unique n’en est pas un puisque les conditions fiscales et sociales diffèrent. Seules les conditions commerciales sont harmonisées. Or pour la fiscalité et le social, il faut l’unanimité.

Qui possède la dette ? En Belgique, traditionnellement, l’Etat plaçait ses obligations dans le grand public, à travers différentes banques. Dans cette mission d’intermédiation, les banques s’enrichissaient, ce qui était problématique. Mais au moins, la dette restait interne. Les obligations Leterme en 2013 ont eu beaucoup de succès. Actellement, il n’y a plus de canal pour l’achat de la dette d’Etat par les particuliers, or l’épargne a gonflé de 20 milliards en 2020. Ce chiffre est éloquent : tout le monde n’a pas été – économiquement parlant – victime de la crise sanitaire !

Il s’agirait aussi, dans un souci d’équité, de remobiliser l’impôt des sociétés qui s’adonnent à « l’optimisation fiscale »… En effet, la Belgique reste un paradis fiscal pour les multinationales, avec ses centres de coordination, qui existent toujours. Si déjà l’on s’attaquait à la fraude fiscale, si déjà on l’administration fiscale avait les moyens de la poursuivre ! Des brèches sont à colmater dans la législation, appelées « évitement fiscal »…En Belgique, beaucoup de poursuites ont été atteintes par la prescription.

Le niveau d’imposition des entreprises n’a jamais été aussi bas et les plus nantis des particuliers pourraient contribuer plus. Qu’on se souvienne qu’une grosse partie de l’impôt est immédiatement redistribuée. Aussi, la crise Covid a montré l’absolue nécessité des services publics de santé, d’enseignement, etc. Avec le chômage et le droit passerelle, l’état providence a joué son rôle d’amortisseur. Restent des services publics sous-financés : administration fiscale, justice…

Question à 5€ : Pourquoi faire tourner la planche à billets crée-t-il de la dette ?

Réponse : il y a plusieurs manières de procéder. Soit on achète de la dette et ce faisant on crée provisoirement de l’argent. C’est là-dessus que misent les banques centrales, avec le risque d’éclatement de la bulle sus-mentionné. Soit on distribue de l’argent aux, particuliers, par exemple via une allocation universelle. Ceci pour favoriser la conso. Or aujourd’hui, il y a de plus en plus d’épargne. Si on distribuait de l’argent, serait-il dépensé ? Pour partie, non. C’est là que se niche le risque d’inflation.

Le mot de la fin à Vanessa Joos, d’ATD Quart-Monde : la nouvelle concertation du Service de Lutte contre la Pauvreté explore la solidarité (sous l’angle du travail et celui de la fiscalité). L’impression des plus pauvres est que le débat sur la redistribution est pensé à partir des classes moyennes. On n’entend pas le point de vue des plus pauvres, qui ne paient pas ou très peu d’impôts. Et qui sont révoltés d’entendre parler de création monétaire pour ce fameux plan de relance. Alors que la crise que vivent ces personnes, n’a jamais été entendue. Comment faire pression pour que l’investissement pour la relance permette aussi d’en finir avec la pauvreté ?

Lecture suggérée : Transition économique, pour en finir avec les alternatives dérisoires.