Comment allier le droit au logement et la protection des espaces verts ?

Tel était le titre du débat qui s’est tenu à Liège le 5 novembre 2022, à l’initiative d’un collectif d’associations*  qui se sont rencontrées lors de l’International Housing Action Day le 27 mars 2022. Echos des échanges.

A Liège, la mobilisation du 27 mars 2022 était centrée sur les inondations et le sinistre permanent de l’accès au logement. Lors de cette journée est apparue une tension entre le besoin de logements et le refus de projets immobiliers, notamment pour protéger des espaces verts. D’où l’idée de ce débat. Il est nécessaire pour une ville de se développer. Comment peut-elle gérer ces tensions entre les enjeux sociaux et écologiques ?

Trois intervenants, comme autant de portes d’entrée dans le labyrinthe de l’accès au logement

Jean Peltier d’ Occupons le terrain (OLT) était un citoyen comme un autre jusqu’à ce qu’un promoteur décide de construire sur un terrain au fond de son jardin. La mobilisation contre ce projet a abouti et en a entrainé d’autres… Le réseau OLT relie ces initiatives, qui ne sont pas seulement du NIMBY (not in my backyard) mais des réactions à des projets inadaptés aux quartiers.

OLT est sélectif : le droit au logement va de pair avec le droit à un environnement décent. Les projets contestés le sont car en plus d’être inadaptés à l’environnement, ils ne sont pas destinés aux personnes qui en ont le plus besoin.

Mathilde Flas, doctorante à l’ULiège a découvert la problématique des immeubles inoccupés quand étudiante, elle a suivi le collectif Entre Murs Entre Monde qui occupait un bâtiment Saint Léonard. Ouvrant les yeux autour d’elle, c’est le sujet qu’elle a choisi pour son mémoire de fin d’étude. Elle poursuit sur le potentiel que représentent les logements inoccupés et sur les possibilités de les remettre sur le marché. Ce potentiel est-il symbolique ou réel ? Elle a  contacté des communes pour obtenir le décompte des logements inoccupés. Cette 1ère étape d’identification pose déjà problème…

Grégor Stangerlhin a été chef de projet du Plan de cohésion sociale de la Ville de Liège, puis directeur de la participation citoyenne : la Ville a-t-elle la capacité de réguler l’équilibre entre nature et logement ?

On peut répondre à cette question à différents niveaux : communal, au niveau de l’agglo ou de la région. Pour répondre à la demande d’accès au logement pour des personnes précarisées, un guide des opérateurs présents sur le territoire a été créé, un réseau propriétaires solidaires s’est mis en place. La Ville favorise le croisement des différents acteurs. Le projet URBACT ROOF lutte contre le sans-abrisme pour sortir de l’urgence et développer un plan d’action intégré avec le réseau local, à l’instar d’autres villes.

Au niveau de la participation citoyenne, une consultation « Liège 2025 » a fait ressortir la priorité des espaces verts, de la mobilité douce… C’est un changement de la manière de faire de la ville. La Nature et la ville ne s’opposent pas. Mais densifier la ville entre en contradiction avec les attentes des citoyens auxquels les promoteurs proposent des projets périurbains, à côté de la nature. Même si on a une vision, elle n’est pas nécessairement suivie par l’ensemble des acteurs. Tant qu’on ne discute pas de politiques fiscales, on est à côté de la plaque.

Favoriser les interactions

Avant de laisser ces intervenants développer leur expertise, nous (les associations organisatrices*) les avons répartis avec les participants dans 3 sous-groupes où tout le monde pouvait s’exprimer. Après la pause, Céline, militante d’ATD Quart Monde, a lu les témoignages interpellants de militants de Verviers et de Liège. Ensuite, les trois intervenants ont repris la parole, en prenant en compte ce qui s’était dit dans les sous-groupes.

Ce qu’on retiendra du débat

Il n’y a pas de pénurie de logements…

Au cours des 10 dernières années, en Wallonie, il y a eu 70.000 nouveaux ménages et 130.000 nouveaux logements. Rien qu’en 2017, on a construit 17.000 logements alors qu’il y avait 5000 ménages en plus. C’est une tendance de fond.

…Mais une crise de l’accès

Le problème c’est le prix. Les inégalités. Les promoteurs construisent ce qui va leur rapporter le plus, des flats pour les étudiants et les seniors. Et des logements près de la nature pour les ménages aisés.

Les familles modestes restent sur le carreau. Pour les aider, on a mis en place les Agences Immobilières sociales (AIS) qui ont bien progressé ces dernières années. 7000 logements sont gérés par les AIS. 56 sont rénovés chaque année en Wallonie.

Le Fonds du Logement de Wallonie crée et rénove des logements de manière plus diffuse mais joue aussi un rôle (900 logements créés depuis 2005, soit 53 par an).

Ces organismes ont leurs limites. Et leurs contraintes. Idem pour le logement social. Les financements ne permettent pas d’en faire plus.

Les projections démographiques sont contestées

Plusieurs participants mettent en doute la projection de 45.000 logements nécessaires et questionnent le type de logements envisagés eu égard à la composition des familles. Le Plan de Cohésion Sociale qui finance les actions sur le territoire, est défini sur base d’un indicateur synthétique d’accès aux droits fondamentaux, défini par l’IWEPS. En tout cas, 25% (50.000 personnes) vivent en-dessous du seuil de pauvreté à Liège. 50% de ménages y ont un revenu annuel inférieur à 20.000€.

Or Liège ne compte que 10% de logements publics (un pourcentage qui tend à diminuer) et ne met pas la priorité sur les Agences Immobilières Sociales, à la différence de Verviers. En 20 ans, les projets de rénovation urbaine ont permis la création de 300 logements. C’est moins qu’1% du nécessaire.

Rénover, réhabiliter : les obstacles

La rénovation  (des logements existants ou inoccupés) coûte plus cher que les constructions neuves sur des terrains non construits, parce que les coûts environnementaux ne sont pas internalisés dans les prix : la pollution due à l’extraction, la transformation et le transport des matériaux, et l’étalement urbain, l’artificialisation des terres, qui a des conséquences désastreuses sur la biodiversité et la gestion des eaux pluviales. On l’a vécu avec les inondations de 2021. Les changements climatiques font craindre que cela se reproduise.

D’où l’horizon politique du « zéro artificialisation des sols », mais comme il est fixé à 2050, la bétonisation poursuit sa course folle. C’est pourquoi il faut des politiques bien plus contraignantes.

Les espaces verts : un bien commun

Personne ne conteste l’importance de préserver les espaces naturels, surtout en ville, dans les quartiers où les habitants n’ont pas les moyens de s’aérer plus loin. Le souci, c’est quand l’espace vert est un argument de vente… Pour ensuite être bâti ! Ou morcelé par l’étalement urbain. A long terme, les acquéreurs sont grugés. Aussi, on a besoin des terrains agricoles péri-urbains pour relocaliser la production alimentaire. Des terres sont à sanctuariser.

La solution ? En combiner plusieurs !

La réhabilitation des logements inoccupés est une des solutions mais à combiner avec d’autres mesures, fiscales notamment.

Les déductions fiscales pour la classe moyenne creusent les inégalités. Ceux qui ont le plus de difficultés (plusieurs milliers de personnes à Liège en liste d’attente de logement social ou au Fonds du Logement) vont prendre les logements en très mauvais état, qui sont des gouffres énergétiques.

Il faut aussi des mécanismes de solidarité entre communes riches et pauvres, et remettre en cause le financement des communes, car elles se font concurrence en essayant d’attirer les contribuables riches… Au détriment de la Ville qui n’arrive plus à financer ses fonctions.

Les citoyens des communes péri- urbaines reviennent en ville en voiture (100.000 voitures rentrent dans Liège tous les jours) et utilisent les infrastructures, sans les financer. Il va falloir les faire contribuer, déjà en prenant le tram quand il sera prêt. Il faut stopper la péri-urbanisation.

Pour faciliter la réhabilitation des immeubles vides, la possibilité d’introduire une action en cessation a été élargie aux associations. Celles-ci peuvent alors recourir, comme les communes, à un outil d’autofinancement des travaux, bail à la réhabilitation : le bien est confié à des personnes ou organismes qui le rénovent puis se remboursent des travaux faits avec les loyers. Une étude économique devrait en étudier la faisabilité, en tenant compte de l’encadrement, qui devrait être géré par un organisme ad hoc.

Enfin, les Community Land Trusts permettent une maîtrise foncière du patrimoine, en dissociant l’acquisition du terrain et celle du logement, et en régulant le prix de revente.

Le logement social reste important : aujourd’hui, il n’y a plus d’obligation légale d’un quota à atteindre. Il faut la réintroduire, avec une proportion de 20% de logements sociaux dans les nouveaux projets.

Condition sine qua non : une réelle volonté politique…

Le politique doit imposer des contraintes au privé. Avoir le courage de dire non aux constructions neuves sur des terrains non construits, et s’inscrire tout de suite dans la perspective du zéro artificialisation. Liège a une grande taille, il faudrait mettre les promoteurs autour de la table. Il y a des raisons de construire à Liège, il y a un marché.

Les deux mamelles des promoteurs : être propriétaires du terrain et ce qu’autorise le plan de secteur, qui date de 40 ans. Ce plan de secteur doit être revu : des zones dévolues à l’habitat sont restées agricoles ou sont devenues des zones vertes.  La Chartreuse n’ était pas reprise comme zone verte au plan de secteur !

Et l’outil pour les contraindre : les charges d’urbanisme. A partir de 40 logements, le projet doit inclure un logement social. Alors les promoteurs rendent un projet de 39 logements… Il faut mettre le curseur plus bas.

 

…Et une coopération de l’ensemble des acteurs

Des politiques plus volontaristes, des promoteurs plus contraints, des acteurs de l’aide au logement plus aux taquets pour utiliser les mécanismes d’autofinancement des rénovations et la maîtrise foncière…

Reste le citoyen, habitant de Liège qui rénove sa maison. Comment donner à chacun des moyens de le faire ? Pour obtenir des primes à la rénovation urbaine, le parcours est compliqué, c’est lent, trop peu accessible. Il faudrait plus de de personnel pour gérer ces demandes et diffuser l’information.

Pour favoriser la coopération entre les communes, il y a maintenant Liège Métropole, dont le bourgmestre est le président. Il lui manque encore une loi sur la supra-communalité qui attend d’être votée au Parlement Wallon. Celle-ci permettrait à Liège Métropole d’accéder à des fonds européens colossaux. Pour les obtenir, universités, communes et autres opérateurs doivent joindre leurs efforts. Une révolution est à faire.

En comparaison avec d’autres villes européennes, on est à la traîne. Aux Pays-Bas, les communes doivent atteindre 34% de logements sociaux dans  leur parc de logements.

Ceci dit, il y a des initiatives locales inspirantes : à Beyne-Heusay, la mobilisation citoyenne pour redensifier le centre et arrêter l’étalement urbain, relayée par des conseillers communaux, a fini par convaincre la majorité. Liège même foisonne de coopératives citoyennes et de micro-projets.

Et le rôle des associations ?

Suite aux inondations, un rapprochement s’opère entre acteurs sociaux et environnementaux, qui apprennent les uns des autres et coconstruisent des revendications. Celles-ci seront médiatisées lors du prochain Housing Action Day, fin mars 2023.

Occupons le terrain a lancé une pétition, du logement pour toutes et tous, en préservant les espaces verts et agricoles : elle vise l’arrondissement de Liège. Elle peut servir de base à des interpellations citoyennes dans les communes et rebondir dans d’autres arrondissements, à la manière des Communes hospitalières ou contre le TTIP.

L’éducation permanente joue aussi son rôle pour permettre aux citoyens d’appréhender la complexité, les effets non désirés de certaines politiques (ex. la gentrification des quartiers rénovés), les contraintes et les limites des acteurs, et l’articulation possible de différents dispositifs.

La résistance sur le terrain, les interpellations et le plaidoyer font remonter la parole des populations les plus en difficulté. Et rappellent aux pouvoirs publics l’objectif du collectif, du commun.

 

 *Partenaires : Associations 21, ATD Quart Monde, Barricades, CIEP, Equipes Populaires, Occupons le Terrain, Solidarités Nouvelles, Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté