Il est de coutume de saluer le volontarisme de l’Union européenne quant à ses objectifs environnementaux. Pourtant, il est un domaine que nous n’arrivons pas à vraiment maîtriser : celui des transports. Alors que, dans tous les autres secteurs, l’utilisation globale d’énergie et la production de gaz à effet de serre diminuent, dans les transports, la tendance est à l’augmentation permanente année après année. Si ce constat est vrai dans les zones de « vieille motorisation », comme l’Europe, les perspectives dans les pays émergents, au premier rang desquels la Chine, sont encore bien plus préoccupantes.
À l’échelle mondiale, on observe un éloignement croissant entre lieux de production et lieux de consommation; transport et mondialisation sont étroitement liés. Pourtant, le monde entier sait aujourd’hui que le « moteur » de cette mobilité débridée, le pétrole, est en voie d’épuisement et que son utilisation à grande échelle est un facteur essentiel de nuisances environnementales, au premier rang desquelles les dérèglements climatiques. Sa production est elle même une source majeure de violence et d’amplification des inégalités. Bien rares sont les pays producteurs où toutes les couches de la population sont tirées vers le haut par les recettes de la manne énergétique… La lutte pour la maîtrise énergétique installe ou renforce plus souvent la violence armée.
Chacun sait confusément que « bientôt » (mais le plus tard possible !), la mobilité bon marché sera du passé. Lentement mais sûrement, nous dépensons de plus en plus pour être (plus ou moins) mobile. 1/7 du revenu des ménages belges est consacré aux transports (et pour plus de 90% à la seule voiture), compte non tenu de la part non négligeable des déplacements des voitures dites d’entreprise. Les « solutions » basées sur les carburants alternatifs risquent de se faire attendre longtemps. Les agrocarburants (appellation commerciale : « biocarburants ») ne suffiront pas, loin s’en faut. Et la production d’éthanol à partir de végétaux au Brésil a des impacts sociaux et …environnementaux assez sévères…
L’objet n’est pas de s’étendre ici sur les dimensions mondiales de la question, mais d’aller au plus proche du quotidien : pouvons-nous réduire notre dépendance à la mobilité ? Parallèlement, pouvons-nous adopter une mobilité moins nuisante ?
La dépendance à la mobilité
En trois générations, nos comportements ont radicalement évolué. Certains parlent d’ailleurs de notre génération comme d’une « génération nomade » [1] . Les théories classiques prédisent que la mobilité croit en fonction de l’accroissement de la richesse ; elle serait en quelque sorte la « rançon du succès ». Chez nous, c’est pourtant en Wallonie, la région la plus pauvre de Belgique, que l’augmentation des kilomètres parcourus est la plus marquée.
Maîtriser la demande de mobilité est un premier défi. En France, on a enregistré en 2005, et pour le première fois, une diminution globale du nombre de déplacements (mais pas des kilométrages, par contre).
Les choix de mode de transport
Si la mobilité a énormément augmenté, c’est surtout suite à la progression fulgurante de la voiture ; « partout, tout le temps », en voilà un engin pratique !
Organiser notre quotidien et la société pour pouvoir se déplacer en utilisant moins la voiture est un autre défi: Il s’agit de casser le réflexe « déplacement = voiture ». Mais comment faire accepter que l’on puisse, sans déchoir, tantôt utiliser sa voiture, tantôt le bus ou le train, tantôt le vélo, ou même marcher plus de 500mètres?.
Ici encore, c’est en se tournant vers la France qu’on peut trouver des raisons d’espérer. En 10 années (depuis la mise en œuvre de politiques globales, les Plans de Déplacements Urbains – PDU, obligatoires et mis en application le plus souvent de manière volontariste), plusieurs villes françaises ont enregistré une diminution du nombre de déplacements (-8% à Lyon, par ex.)ainsi qu’une chute plus marquée encore de l’utilisation de la voiture (-15% à Lyon toujours) au profit des modes alternatifs (surtout les transports publics, mais aussi le vélo). Comme quoi, même dans un contexte où on est encore loin de diaboliser la voiture, le défi est possible. Il est bien sûr surtout possible en milieu urbain, plus dense et donc imposant des déplacements plus courts davantage favorables au vélo, où les transports publics sont en mesure d’offrir une offre plus convaincante. Mais il doit être accompagné d’une amélioration de l’offre (tant des transports en commun que du vélo). Ces investissements demandent des budgets mais aussi – sinon surtout – la volonté politique de réduire l’espace vital des automobilistes. Chez nous, cela coinjce toujours… La voiture continue à grignoter l’espace jour après jour, en espaces de stationnement surtout et en projets autoroutiers…
La dépendance à la voiture : stop ou encore ?
On le pressent : demain, il sera plus difficile et plus cher de se déplacer avec un « moteur individuel ». À tendance inchangée, la mobilité individuelle motorisée sera un vrai « marqueur social » lié à la richesse, voire à l’emploi.
Les transports publics sont donc condamnés à progresser, c’est évident. Imaginer qu’ils pourront un jour suppléer entièrement à la voiture individuelle est un leurre. On voit mal où trouver les budgets nécessaires, ou comment disposer de l’espace utile,…
La marche et le vélo, très bon marché, parmi les moins consommateurs d’espace, et générateurs de peu de nuisances, ont donc l’avenir pour eux. Pour autant que la demande de déplacements soit compatible avec les caractéristiques de ces modes non mécanisés… Les distances usuelles de marche vont jusque 1 à 2 km, et de 4 à 6 km pour le vélo. La situation en Flandre (où le vélo est 6 à 7 fois plus utilisé qu’en Wallonie) montre qu’il est possible d’atteindre des résultats élevés : les modes durables assurent 46% des déplacements de 5 km et moins (35% à vélo, 8% à pied, 3% en TEC, 1% en train). Un déplacement scolaire sur deux de 5 km max. s’y effectue à vélo !
Pour permettre une concentration des flux compatibles avec une offre de transport public et pour rendre accessibles des activités variées (habitat, travail, loisir, commerce,…), il est essentiel d’organiser le territoire de manière compacte. Or aujourd’hui, l’éparpillement reste de mise. Il faudra donc user de courage et de détermination. Mais rares sont encore les décideurs qui osent poser des choix rigoureux supposés impopulaires. Orienter l’action publique en ce sens impose aussi de ne pas changer d’avis après chaque élection, car ces mécanismes jouent à long terme et sont lents à produire leurs effets. À l’inverse, chaque parcelle urbanisée l’est pour toujours. À part les friches industrielles, on ne connaît pas d’exemple d’urbanisation réversible.
La situation en Flandre montre également, et c’est encourageant, que, même avec un territoire dispersé, une offre d’infrastructures adaptées – qui devrait s’accompagner chez nous d’une action très forte sur les mentalités – et des petites mesures pour décourager les usages inappropriés de la voiture permettent un retournement de tendance impressionnant.
La mobilité, au cœur de nos contradictions
Les enjeux écologiques et financiers imposent un changement radical de cap. Malgré ce que nous voudrions tous croire, nos comportements de mobilité, gaspilleurs en espace et énergie, ne sont pas généralisables à l’échelle de la planète. En outre, il est peu vraisemblable que « la voiture propre » soit disponible d’ici à 20 ans, ou en tout cas accessible au plus grand nombre. Il est donc vain de n’attendre que de mesures à caractère technique pour assurer les progrès importants à accomplir.
Nombreux sont déjà nos concitoyens désireux d’adopter une mobilité plus écologique mais entravés dans leur intention. Une mobilité plus écologique, plus économe et plus équitable demande en effet que l’autorité publique permette et encourage les choix adaptés, tout en décourageant les comportements à éviter. Une gradation de mesures est possible, et bon nombre d’exemples montrent que l’augmentation constante de l’automobilité n’a rien d’une fatalité.
Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est une prise de conscience de l’enjeu central que constitue la mobilité. Pour avancer, il faut travailler sur des fronts très variés. Il faut agir sur la demande pour rendre à la fois convenables ET désirables les modes durables et pour en parallèle rendre moins désirables les modes mécanisés. Cela peut se traduire par des mesures en faveur d’un aménagement du territoire plus compact, d’une amélioration de l’offre des transports publics et des réseaux, d’une amélioration de la cyclabilité, etc.
Reste toutefois un facteur essentiel : convaincre l’autorité publique qu’il est légitime et indispensable de travailler aujourd’hui, même si c’est ingrat, à construire des solutions qui produiront leurs premiers effets dans dix ans, et la plénitude de leurs bienfaits dans 20 ou 30 ans. Vous savez, les générations futures…
| NOTES:
[1] ce qui (mais ce n’est qu’en apparence un paradoxe) accompagne intimement notre « brique dans le ventre » nationale…