Le mardi 26 septembre 2022, la Coalition Climat a dévoilé son Pacte Logement Energie devant une large assemblée. La Coalition Climat compte plus de 90 membres de la société civile : syndicats, ONG, mutuelles, rejointes en mars 2023 par les Réseaux de Lutte contre la Pauvreté (RWLP et ses homologues flamand et national). Cette adhésion a conduit à la création d’un groupe de travail chargé d’élaborer un Pacte Logement Energie (PLE) – Lien vers le Pacte Logement Energie.

Présentation du PLE par Canopea et lien vers son mémorandum

Nicolas Van Nuffel, président de la Coalition Climat, présente l’objectif du PLE : susciter des débats politiques en vue des élections de 2024, afin que les aspects sociaux et environnementaux du logement soient pris en compte par tous les partis politiques. Pour que ces mesures soient intégrées dans les politiques futures, une coordination est nécessaire entre les différents niveaux de pouvoir. Ce pacte est présenté comme “générique”, avec des mesures devant être adaptées aux différentes entités (fédérales, régionales, communautaires), en tenant compte de leurs contextes spécifiques.

Les lignes directrices de ces mesures sont la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, l’accès à un logement de qualité accessible à toutes et tous, et l’accélération de la rénovation énergétique pour atteindre la neutralité carbone du bâti en 2050.

Pacte Logement Énergie

Les problèmes de sans-abrisme et d’accueil insuffisant pour les migrants sont une véritable honte pour un pays tel que la Belgique. Les publics précarisés et les logements de mauvaise qualité sont les plus touchés par le changement climatique, et cette situation ne fera que s’empirer. C’est pourquoi le PLE appelle à une adhésion et à une coordination urgentes entre les différents niveaux de pouvoir. Il préconise la réorientation du secteur de la construction vers la rénovation des bâtiments et un changement de paradigme dans l’aménagement urbain, en abandonnant l’approche basée sur la dépendance à la voiture, l’individualisation et la spéculation immobilière. Les marchés immobilier et locatif doivent être régulés.

Carine Thibaut de Greenpeace explique que le Pacte Logement Énergie articule ses actions autour de quatre piliers directeurs :

  1. Une approche collective et un accompagnement au niveau des quartiers, avec une priorité à la sélection des quartiers défavorisés. François Sana (CSC) propose la mise en place de programmes publics de rénovation par secteur, grâce à un préfinancement des travaux dans leur totalité par les autorités publiques, plutôt qu’un système de primes où les coûts des travaux ne peuvent être avancés que par les propriétaires les plus favorisés. Cette approche serait réalisable grâce à un allongement de la durée des prêts liés à la pierre (plutôt qu’à l’individu propriétaire au moment de la rénovation). Ces rénovations sectorielles pourraient être facilitées par la création de plates-formes de rénovation spécialisées dans chaque région.
  2. Des normes en phase avec le PLE: Eva Joskin (Canopea) présente les alternatives à la PEB (Performance Énergétique des Bâtiments), dont le calcul des taux et des normes varie en fonction de la région. Il est nécessaire d’établir un cadre légal comprenant des obligations de rénovation pour le marché locatif et de promouvoir de nouvelles formes d’habitat visant à limiter l’étalement urbain. La rénovation des bâtiments non occupés est prioritaire.
  3. L‘accès au logement et la régulation du marché locatif, deux éléments indissociables, selon Christine Mahy (RWLP). Il nécessite la création de nouveaux logements sociaux en instaurant un ratio obligatoire entre le nombre de logements sociaux et de logements privés dans tout projet d’aménagement urbain ou de rénovation de quartier. Afin de prévenir l’aggravation des inégalités et la gentrification, les politiques de rénovation doivent s’accompagner de mesures de plafonnement des loyers et de l’interdiction de la location des logements passoires.
  4. Un financement et une fiscalité en concordance avec le PLE afin de permettre la réalisation d’un plan d’investissement massif. Le financement de ce projet sera assuré par un fonds alimenté par les contributions carbone, en utilisant des leviers tels que la dette et la fiscalité. Selon Karel Pype (Reset Vlaanderen) et Angelos Koutsis (BBL), cela implique la taxation des énergies moins écologiques et la promotion des énergies propres. De plus, il convient de favoriser le partage des espaces de vie tout en préservant les droits sociaux individuels, notamment en envisageant la suppression du statut de cohabitant et en encourageant l’habitat collectif.

Questions-réponses

La présentation du Pacte Logement Energie a suscité de nombreuses réactions, témoignant de préoccupations diverses.

Charlotte Renouprez des Équipes Populaires s’est étonnée de l’absence de participation des acteurs du logement bruxellois au sein du groupe de travail sur le logement, soulignant l’importance de l’apport d’une expertise de terrain dans l’élaboration de politiques efficaces en matière de logement. Elle propose une collaboration future pour améliorer ce Pacte Logement Énergie.

Ce document manque d’une orientation politique claire et d’une position définie concernant la propriété privée. Cette ambiguïté pourrait compliquer la mise en place de réformes significatives dans le secteur du logement. La Coalition Climat a réagi en reconnaissant que la question de la propriété privée divise et en soulignant la nécessité de travailler dans la nuance.

A propos de la taille des logements, attention au risque « d’airbnb-fication », et aux enjeux liés aux résidences secondaires. La réduction de la taille des logements a trop souvent encouragé la location touristique, réduisant à terme les logements disponibles et la qualité de vie des résidents.

La Coalition Climat admet que la question des grands logements nécessite une approche réfléchie. Ces préoccupations soulignent la nécessité d’une réforme fiscale, la création d’un cadastre des propriétaires, et l’importance de lier la régulation de la touristification à des mesures fiscales appropriées. La Coalition Climat reconnaît également qu’elle a dû faire face à des réalités différentes selon les régions.

Thierry Laureys (initiateur de POLLEC et créateur de Corénove) souligne que le Plan Logement Énergie (PLE) ne tient pas suffisamment compte de l’aspect économique, condition incontournable de son acceptation. La transition écologique doit être accompagnée d’une transition économique, qui nécessite un budget adéquat pour une transition loin des énergies fossiles. Il est donc essentiel d’établir un plan d’investissement substantiel de la Banque Centrale Européenne en faveur de la rénovation énergétique. Il importe également de moderniser le réseau électrique et de transformer la Banque Européenne d’Investissement (BEI) en une institution dédiée au climat. Il préconise un financement à très long terme (similaire à l’approche du plan Marshall), s’étalant sur au moins 150 ans.

Jacques De Gerlache a mis en garde contre les clichés sur les propriétaires, vu le grand nombre de nombreux petits propriétaires et de propriétaires occupants. Il appelle la Coalition Climat à orienter la taxation vers “les principaux responsables du changement climatique”, en ciblant la taxation des produits tels que le kérosène, qui sont fortement polluants et surexploités au sein de secteurs économiques parmi les plus grands émetteurs de carbone. Il préconise des mesures fiscales robustes pour encourager la transition écologique.

La Coalition Climat répond qu’il faut éviter à tout prix que les propriétaires particuliers vendent massivement leur bien en raison des coûts élevés des rénovations énergétiques qu’ils ne pourraient pas assumer. L’effet d’entraînement doit être soutenu par les pouvoirs publics, pour échapper à l’emprise des entreprises immobilières privées et à leur impact sur la spéculation. Pour empêcher que les petits propriétaires vendent massivement, ce qu’on appelle la « réno-éviction », il faut créer un rapport de force en vue d’un changement rapide.

Thibaut de Menten signale qu’il travaille sur la régulation des loyers depuis 10 ans. Pour lui, l’élaboration du PLE doit s’accompagner d’une double mesure : conventionnement (accords avec des bailleurs volontaires) et régulation des loyers. Les bailleurs ne devraient plus être les seuls à décider du montant des loyers ; le législateur doit fournir des règles claires. En cas de logement passoire ou insalubre, une réduction du loyer doit pouvoir être offerte au locataire dans l’attente d’une rénovation.

Afin de ne pas exacerber la crise du sans-abrisme, les interdictions strictes de locations ne doivent pas être imposées sans solutions alternatives, vu la pénurie de logements. L’absence de plan B risque d’accentuer les inégalités. Cette question doit être abordée avec nuance et prudence. Les interdictions et les régulations de la location des logements passoires doivent être établies au regard des contexte propres à chaque régions.

La Coalition Climat s’accorde sur l’importance de ne pas aggraver la vulnérabilité des plus défavorisés en imposant des interdictions radicales. Elle rappelle que l’objectif du pacte est bien d’encourager un consensus pour favoriser un changement rapide. Il est admis que les personnes les plus précaires subissent déjà des impacts significatifs, tandis que d’autres connaissent une détérioration de leur situation et que certaines redoutent une dégradation encore plus prononcée.

Panel d’experts

Le débat sur le Pacte Logement Énergie (PLE) a été enrichi par les contributions d’un panel d’experts : Aline Fares (conférencière militante), Bert Luyts (ATD Quart Monde) et Sandrine Meyer (ULB). Au cœur de leurs réflexions, il faut relever la fenêtre d’opportunité créée par le plan que la Belgique doit établir d’ici juin 2024 en réponse aux exigences du Fonds Social Climat européen. D’après celui-ci, l’État doit garantir que cet argent soit principalement consacré à soutenir les ménages vulnérables.

Aline Fares pointe la réalité des propriétés privées en Belgique et le fait que la rente locative intensifie les inégalités. C’est un transfert de richesse : les propriétaires, déjà en position de force face aux locataires, s’enrichissent encore grâce aux loyers. Il faut distinguer les différents acteurs : bailleurs, investisseurs, promoteurs, propriétaires occupants…
Vu ce contexte où la majorité des logements à Bruxelles sont des propriétés privées louées sans régulation des loyers, une question se pose : quels mécanismes permettent d’imposer des rénovations aux propriétaires, sans entraîner une hausse incontrôlée des loyers, les rendant inabordables ?

Les biens loués par des « marchands de sommeil » pourraient être expropriés et transformés en logements sociaux. Autre piste pour les propriétaires qui n’ont pas les moyens de rénover : le rachat du sol par des sociétés coopératives à usage locatif (CLT).
Le cadastre belge devrait être rendu public et surveillé pour éviter la concentration de la propriété. De plus, pour réduire le risque de dévalorisation des biens non rénovés et de leur vente à des spéculateurs en cas de perte de permis de location, Aline Fares propose l’abolition de la loi anti-squat, le gel et la réduction des loyers pour prévenir les “reno-évictions” et les expulsions.
Enfin, elle met en garde contre les Agences Immobilières Sociales (AIS), qui parfois, malgré des financements publics, ne bénéficient pas réellement aux personnes défavorisées.

Bert Luyts pointe notamment la singularité des situations vécues par les personnes défavorisées. Afin que les mesures tiennent compte d’elles, les populations concernées doivent être mobilisées dans l’élaboration du pacte. Il pense notamment aux résidents permanents des zones de loisirs, qui malgré leur précarité ne peuvent bénéficier ni des tarifs sociaux de l’énergie, ni de la domiciliation. Il faut donc rechercher des solutions directes avec les personnes vivant dans la pauvreté.

Il souligne également la différence de calendrier pour la mise en œuvre des mesures. Certaines sont réalisables à court terme, telles que la rénovation via les primes, tandis que d’autres, plus complexes, nécessitent une approche à long terme, comme la régulation des loyers.  Pour réaliser le changement de paradigme concernant le droit de propriété et certaines mesures prévues par le PLE, il faudrait de nombreuses années.  Afin d’envisager des rénovations plus rapides, il faut entamer des négociations avec les propriétaires. Un soutien doit aussi être mis en place à court terme pour les personnes cherchant à améliorer elles-mêmes leur logement. C’est un enjeu de reconnaissance de leurs capacités, le manque de reconnaissance étant une des 9 dimensions de la pauvreté, et non des moindres.

Bert Luyts pointe l’importance du Fonds social climat européen : la Belgique doit déposer un plan d’ici juin 2024, garantissant que ces fonds bénéficieront aux ménages vulnérables : comment rédiger un tel plan sans la participation active de ces personnes ? Pour l’instant, cette rédaction incombe à un groupe de travail de la commission nationale climat. La Coalition Climat et les organisations actives dans la lutte contre la pauvreté, devraient en faire partie.

Sandrine Meyer pointe l’approche techniciste de la PEB (Performance Énergétique des Bâtiments) qui néglige les réalités de la vie quotidienne et les comportements des ménages. De plus, la taille du logement n’est pas prise en compte dans le calcul du PEB. Si lors de sa rénovation, un bâtiment est agrandi, son évaluation énergétique sera faussée.

Concernant les obligations de rénovation, leur mise en œuvre semble facile mais le suivi et l’application des sanctions en cas de non-respect est bien plus complexe. Le dialogue pourrait être une approche efficace pour favoriser la mise en conformité.
Le rôle de l’urbanisme est à repenser : à l’heure actuelle, il agit plus comme un frein qu’un incitant à la rénovation énergétiques vu délais d’attente pour obtenir un permis. Quand celui-ci est octroyé, les devis ne sont souvent plus valables et les professionnels plus disponibles.
De plus, un lien est à établir avec les acteurs économiques locaux car si l’on décide de tout confier à de grandes entreprises qui pratiquent le dumping et importent des matériaux de Chine, cela ne contribue pas à enrichir le tissu socio-économique local.
La demande croissante de petits logements devrait se résoudre grâce à l’individualisation des droits sociaux (suppression du statut de cohabitant), permettant aux gens de réapprendre à vivre ensemble.
Les aides visant la précarité énergétique se concentrent sur la facture d’énergie et non sur la qualité du logement, ce qui signifie que les locataires n’ont pas d’incitation à payer un loyer plus élevé pour un logement plus économe en énergie. Une approche multisectorielle doit être adoptée pour les rénovations énergétiques.
En ce qui concerne le financement, primes, subsides et écoprêts à taux zéro ne seront probablement pas suffisants pour répondre aux besoins. Il existe des pistes à explorer pour trouver des solutions de financement alternatives.
Les communes toujours en quête de revenus, ont un intérêt à trouver dans la gentrification. Elles ne cherchent donc pas à éviter ce phénomène générateur d’inégalités. Il faut trouver des solutions afin d’en limiter les répercussions sociales.

La Coalition Climat souligne que la régulation du marché locatif et des loyers nécessiterait que tous les bailleurs enregistrent leurs baux. Cet enregistrement pourrait servir d’instrument pour aborder des questions telles que la PEB, la taxation, la cartographie et l’inventaire des baux. Une obligation d’enregistrement des baux est en place actuellement mais seulement la moitié des baux sont effectivement enregistrés. Un suivi beaucoup plus rigoureux de cet enregistrement s’impose, d’autant plus qu’un inventaire complet est nécessaire pour envisager des rénovations profondes et collectives. Une révision du plan de secteur est également nécessaire car certains individus ont déjà acquis des permis de construire.

La Coalition Climat est revenue sur l’utilisation des fonds provenant de l’EU ETS 2 (EU Emissions Trading System for buildings and road transport) et s’interroge sur la destination de ce carbon prising et sur son utilisation optimale. Où cet argent sera-t-il alloué ? Sera-t-il redistribué aux ménages ? Ou bien sera-t-il affecté aux régions ? Comment sera-t-il utilisé ? Les plus défavorisés, locataires de logements passoires, risquent de subir une hausse des coûts en raison du prix du carbone.

 

Conclusions :

Les échanges de cette matinée de présentation du Pacte Logement Energie ont permis d’aborder divers sujets essentiels liés à la régulation du marché locatif, à l’utilisation des fonds publics ou à la propriété du parc locatif. Les participants ont souligné l’importance de collecter des données précises pour orienter les politiques publiques et ont discuté des moyens de financer des projets sociaux et économiques.

Les experts ont unanimement souligné l’importance de prendre en compte les aspects sociaux et environnementaux dans la recherche de solutions durables pour le logement en Belgique. Ils ont plaidé pour la régulation des loyers, la mise en place d’un cadastre public pour surveiller la concentration de la propriété, et la révision des politiques existantes, notamment en ce qui concerne l’expropriation, la rénovation énergétique, et la participation des ménages vulnérables. En fin de compte, le débat a montré que des mesures conjointes sont nécessaires pour relever les défis complexes du logement et de l’énergie en Belgique.

Pour aller plus loin, une conférence « À qui appartient Bruxelles ?” va être organisée lorsque seront parus les résultats du recensement de 2021 par François Ghesquière, attendus avec impatience. Pendant des décennies, la propriété privée a été promue par les politiques. Il est nécessaire de pouvoir différencier les différents types de propriétaires dans les politiques publiques afin de tendre vers un changement de paradigme.

Cette matinée a montré la nécessité de construire des alliances larges tout en maintenant des messages clairs pour les politiques. Les différences de degrés de radicalité parmi les participants et la richesse de diversité des opinions ne devraient pas empêcher que l’on s’accorde sur les messages clés.

Le Pacte Logement Energie est une base de discussions au-delà des grands principes. Il va être envoyé aux partis politiques pour débat. Cette démarche s’inscrit dans le cadre plus large d’une transition juste vers une société décarbonée en Belgique et ailleurs dans le monde, qui englobe des propositions concernant Belfius, la réforme fiscale, la réforme de la PAC, et d’autres domaines.

N’oublions pas le Fonds social climat européen et le plan que la Belgique devra déposer d’ici juin 2024 : pour assurer que cet argent profite aux ménages vulnérables, la société civile doit revendiquer d’intégrer le groupe de travail ad hoc.