Le 23 mai 2019, le Plan d’action national Entreprises et Droits de l’Homme a fait l’objet d’un Stakholders dialogue organisé par le SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur, Coopération au développement et l’Institut Fédéral pour le développement durable (IFDD).

Associations 21 et de nombreuses autres organisations de la société civile ont participé à cette séance visant à évaluer le premier Plan d’Action National (NAP pour Nationale Actie Plan) « Entreprises et Droits de l’Homme » et à envisager l’élaboration d’une prochaine version.

En quoi les ONG sont-elles concernées?

Le respect des Droits Humains par les acteurs économiques sur la scène internationale est régulièrement remis en question par des ONG qui pointent la responsabilité d’entreprises dans des cas de violations des droits humains, qui se traduisent parfois par des accidents mortels nécessitant de surcroît un suivi international de l’indemnisation des victimes.

Ainsi, suite à l’incendie du Rana Plaza au Bengladesh en 2013, la plateforme belge Achact et ses partenaires internationaux ont eu fort à faire pour revendiquer le respect des droits des victimes et l’amélioration des conditions de travail, de sécurité et d’hygiène dans les usines de fabrication textile.

Un exemple plus récent : les conflits sociaux et fonciers sévissant dans presque toutes les plantations d’hévéa et de palmiers à huile de l’entreprise SOCFIN. Ce cas est suivi en Belgique par plusieurs ONG dont FIAN qui dénonce le fait que le discours porté publiquement par SOCFIN, et repris dans son Rapport annuel de développement durable, ne reflète pas la réalité.

FIAN et ses partenaires en apportent la preuve et se tournent vers le système judiciaire pour faire exécuter des engagements pris. Ainsi, le 27 mai 2019, le Groupe Bolloré, deuxième actionnaire du Groupe SOCFIN, était assigné à comparaître devant le Tribunal de Grande instance de Nanterre. Cette action judiciaire inédite vise à forcer ce Groupe à mettre en œuvre un plan d’action auquel il s’était engagé envers les communautés affectées par les activités de SOCFIN au Cameroun.

Les actions des ONG portent-elles leurs fruits?

De telles campagnes ont eu pour effet dans le passé de pousser la Belgique à s’engager en faveur des droits humains. Notre Etat était également enjoint en ce sens par un mouvement international qui a abouti à l’élaboration et à l’adoption au niveau de l’ONU des « UN Guiding Principles on Business and Human Rights ».

En 2017, le gouvernement belge adoptait un premier Plan d’Action National « Entreprises et Droits de l’Homme », fruit d’importantes consultations entre administrations fédérales et avec les entités fédérées, ainsi qu’avec les différentes parties prenantes.

Pour élaborer la prochaine version, l’Etat fédéral souhaite poursuivre dans cette approche de cocréation et de coopération. Cependant, avant de songer à une prochaine version, les parties consultées le 23 mai avaient des remarques importantes à formuler sur le cadre actuel !

Tout d’abord, une loi a été votée pour créer un Institut Fédéral des Droits Humains chargé du respect des droits fondamentaux de compétence fédérale résiduaire (ce qui n’est pas pris en charge par les entités fédérées), de formuler des avis, recommandations et rapports et de promouvoir l’harmonisation avec le cadre international. Mais pour créer cet Institut, il faut encore un accord de coopération avec les entités fédérées.

Comment renforcer la régulation?

Aussi, d’après les syndicats, il faudrait une pleine reconnaissance par les entreprises du cadre légal, sans quoi celui-ci ne peut être effectif. A ce sujet, Michel Cermak du CNCD-11.11.11 a pointé le fait que si la société civile a été consultée pour le 1er NAP dès 2014, ses contributions n’ont pas été intégrées. Ainsi le NAP favorise les démarches volontaires, insuffisantes. Qui a influencé ce résultat ? Est-ce dû au lobbying des entreprises, dès lors juges et parties ? Le moins qu’on puisse en dire à ce stade est que le processus de « cocréation » n’a pas été assez transparent.

Michel Cermak en a profité pour rappeler qu’il existe un processus international pour un traité de l’ONU visant le respect des droits humains par les entreprises, qui serait lui contraignant. L’UE s’en est retirée. La France continue de le suivre, la position de la Belgique n’est pas claire. Elle n’a en tout cas pas encore réagi au draft de traité dont la publication est prévue en ce mois de juin.

Rappelons ici que trop souvent, les intérêts commerciaux prévalent sur les droits humains ou la protection de l’environnement : c’est ce qu’a dénoncé Nicolas Hulot lors de sa démission en août 2018. Tandis que les victimes des transnationales peinent à obtenir réparation en justice (procédures longues, coûteuses et incertaines), les transnationales, elles, usent de tribunaux privés d’arbitrage (les fameux ISDN tant critiqués à propos du CETA ou d’autres accord bilatéraux).

En attendant, pour renforcer le cadre actuel, il devrait être possible d’empêcher les entreprises ne respectant pas les droits humains d’obtenir des aides publiques (y compris les assurances-crédit à l’exportation garanties par l’Etat via Credendo, ex Ducroire), l’accès aux marchés publics ou la participation à des missions princières.

L’atelier 3 de cette matinée qui se penchait sur l’accès à des voies de recours pour les victimes des violations de droits humains du chef d’entreprises, a également pointé les améliorations nécessaires comme le renforcement du point de Contact National abrité au sein du SPF Affaires Economiques. Celui-ci promeut les principes directeurs de l’OCDE et joue un rôle de médiation et de conciliation mais n’a pas de pouvoir de sanction. Il manque également de personnel…

Quelles sont les initiatives fructueuses?

Cette matinée a permis, outre l’expression de ces critiques, la découverte de l’outil mis en ligne par l’IFDD, la toolbox Human Rights et les résultats d’initiatives sectorielles comme TruStone, portée par les autorités flamandes et les Pays-Bas ou l’initiative belge prise par le SPF Affaires Economiques et la Coopération au Développement avec le secteur du cacao… Au final, 60% des entreprises belges sont impliquées de près ou de loin dans le NAP qui est un des 23 répertoriés au plan mondial. Le processus est donc en route et nécessitera encore à l’avenir la vigilance et l’expertise des organisations de la société civile.

Concertation au plan international

Ajoutons que cette rencontre avait lieu au Palais d’Egmont de Bruxelles, en marge d’une réunion internationale « Sharing information & best practices on implementing the UNGPs », co-organisée avec la présidence Finlandaise de l’UE. Les parties prenantes belges qui le souhaitaient pouvaient participer à la rencontre internationale l’après-midi, l’occasion de prendre le pouls de l’évolution des enjeux au niveau international et de puiser de d’inspiration dans les initiatives développées dans/par les autres Etats.

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