Compte-rendu de la conférence de presse du  Service Interfédéral de Lutte contre la Pauvreté

Ce 20 décembre est la journée internationale de la solidarité humaine : un bon jour donc pour présenter le nouveau rapport du SLP, Solidarité et pauvreté. Comme tous les deux ans, ce rapport qui a déjà été soumis aux communautés, sera transmis à l’ensemble des gouvernements, parlements et organes d’avis. La conférence inter-ministérielle est sollicitée.

Chapitres du rapport :

  1. Solidarité et Pauvreté en perspective
  2. Solidarité et travail
  3. Solidarité et fiscalité
  4. Chemins vers la solidarité et la justice

Echo de la concertation

Dès son démarrage, la concertation a pointé les valeurs collectives d’entraide, de collaboration, la reconnaissance de la dignité humaine et de l’autre comme un égal. Cependant, l’organisation des solidarités a été soumise à des évolutions qui ont renforcé les inégalités. Ainsi, la conditionnalité accrue de l’accès aux droits se traduit par un taux plus élevé de non recours à ces droits.

Au fil des travaux du rapport, qui se sont étalés sur 2 ans, l’actualité a contribué à changer notre regard sur la solidarité : d’abord la crise Covid, ensuite les inondations : celles-ci ont suscité un grand élan spontané de solidarité, cependant beaucoup de victimes craignent l’avenir si cette solidarité ne s’inscrit pas dans un cadre institutionnel.

Quant à la pandémie, elle a montré que tout le monde n’est pas égal face aux pertes de revenus. Le  confinement est vécu de façon fort différente selon le confort de l’habitat et la proximité des espaces verts. Le tout au numérique fait peur : sera-t-il possible de revenir en arrière ?

Le rapport met aussi en évidence que les plus pauvres contribuent aussi à la solidarité, par le travail ou par l’entraide  mais celle-ci n’est pas toujours valorisée, elle est même parfois sanctionnée.

Les emplois plus précaires sont plus représentés chez les plus pauvres : les bas salaires ne suivent pas l’évolution du coût de la vie, surtout pour le logement. Les sous-statuts, le travail au noir ou sur plateformes de partage ne permettent pas des droits sociaux corrects. Les conditions de travail sont parfois pénibles ou dangereuses, les horaires et leur flexibilité impossibles pour la vie de famille, sans compter les contrats temporaires. Or beaucoup de ces emplois se sont avéré essentiels : ils ont même impliqué des prises de risques pendant la pandémie. Or ils manquent toujours de valorisation.

La fiscalité n’est pas un sujet facile à aborder en concertation vu sa technicité. Mais c’est un sujet très important vu son impact. Il en ressort qu’il faut préférer l’impôt progressif aux impôts linéaires (ex TVA et accises) ou forfaitaires (ex poubelles).

La fortune en tant que telle n’est pas taxée et les droits de succession, contournés. L’idée d’introduire une taxe carbone suscite des craintes si les compensations sont insuffisantes.

Il y a beaucoup d’inégalités et d’injustices dans la perception de l’impôt : avantages fiscaux, déductions, optimisation et fraude fiscale qui soustraient des sommes énormes et ne constituent pas une priorité politique, contrairement à la fraude sociale.

L’extrême richesse n’a pas été oubliée durant la concertation : le 1er% des plus riches possèdent 16% des richesse tandis que 25% des plus pauvres ont 0,5%. L’impact se traduit notamment sur le coût de l’immobilier.

Les mesures fiscales provoquent de nombreux effets Mathieu : ceux qui en ont moins besoin en bénéficient plus et vice versa. Exemple dans l’énergie : les primes pour isoler ou pour les panneaux solaires vont surtout aux propriétaires. Les voitures de société sont octroyées aux plus hauts salaires. Le Hello Belgium Pass a été plus utilisé par les plus aisés (cf analyse du SLP). Enfin, il apparaît que les plus pauvres bénéficient moins des services publics, ex. les crèches.

Chapitre 4 : messages clés et recommandations

Organiser la solidarité est un enjeu de démocratie et de participation. Le SLP souligne l’importance du rôle des associations qui ont participé à la concertation pour ce rapport.

Concernant le volontariat des personnes en situation de pauvreté, les règles pourraient être assouplies.

La sécurité sociale est à renforcer. Elle devrait être plus équitable, plus juste. Son rôle est très important. C’est un droit. Il faut investir dans des emplois de qualité, dans l’économie sociale, dans des services basés sur les besoins sociaux, privilégier l’approche participative et augmenter les revenus de remplacement.

Il faut sensibiliser les citoyens sur l’importance de la sécurité sociale et protéger les personnes contre les chocs économiques. Il est nécessaire de modifier le statut de cohabitant.

La fiscalité doit être plus progressive et les corrections, automatiques. Les nouvelles mesures doivent faire l’objet d’une évaluation ex ante (test d’impact sur la pauvreté) et d’une analyse ex post (vérification de leurs effets)

Le rapport plaide pour un impôt sur la fortune qui tienne compte de la progressivité. Pour lutter contre la fraude fiscale, il faut accorder les moyens nécessaires à l’administration fiscale et à la justice.

Les fonds publics doivent être utilisés de manière équitable : c’est une question de justice dans leur affectation et pas seulement dans leur perception : il s’agit donc d’améliorer l’accessibilité et l’octroi automatique des droits, de veiller systématiquement au non recours et aux effets pervers de la numérisation. Il existe une Charte de l’assuré social : à utiliser ! Tout ceci implique plus de participation et de dialogue au sein des services publics.

Conclusion : on l’a vu avec la crise Covid et crise clim : les plus pauvres sont plus touchés. La solidarité est visible mais doit être renforcée sur le plan institutionnel. Le Covid a nécessité beaucoup de moyens. Il faut aller chercher d’autres ressources et revenus pour investir plutôt qu’économiser.

Ne laisser personne de côté, nécessite une coopération inter-fédérale, inter-ministérielle.

 

Quelques remarques en vidéo des participants à la concertation

On peut traiter de ces thèmes complexes de façon participative. Une participante ne voyait pas à priori le lien entre solidarité et fiscalité, elle a beaucoup appris durant cette concertation.

Le rapport met en évidence les déséquilibres fiscaux. Il faudrait un cadastre de l’ensemble des finances publiques pour voir qui en sont les bénéficiaires. Le système n’est pas toujours redistributif.

Le bénévolat ne devrait jamais être sanctionné. De même la solidarité, quand on amène chez soi une personne qui vit dans la rue, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou non. La cohabitation : ne devrait pas être sanctionnée.

En Flandres, durant la Warmste week, les politiques plaident pour une solidarité directe et chaude. Ce serait courageux qu’ils fassent de même pour la solidarité froide soit la sécurité sociale et la fiscalité. La pauvreté est un phénomène plus large que l’argent mais l’argent est au cœur du problème.

Réponses des responsables politiques

Karine Lalieux, ministre des pensions et de l’intégration sociale, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre la pauvreté, souligne le rôle important du SLP non seulement pour les témoignages croisés mais aussi pour sa force de proposition et ses recommandations.

La pandémie a touché beaucoup de monde : en 2020, 41% des Belges étaient incapables d’épargner. 33% parvenaient tout juste à joindre les deux bouts. 2% ont dû emprunter pour boucler leurs fins de mois. Des ménages qui s’en sortaient avant, se sont endettés. Les CPAS ont constaté une augmentation de 27% des règlements de dette.

Solidaris pointe qu’actuellement il y a 48% de travailleurs pauvres. Ces dernières années, de nombreux emplois créés étaient de qualité insuffisante pour contribuer à la sécurité sociale et vivre dignement. On a besoin d’une réponse forte. Pour répondre à la pauvreté, il faut des emplois durables, de qualité. Les partenaires sociaux ont décidé d’augmenter le revenu minimum : c’est un 1er pas dans la bonne direction. On devra réfléchir à l’avenir à combiner revenus du travail et revenus de remplacement.

Aujourd’hui c’est la journée de la solidarité : or quand on est solidaire on est sanctionné. Le statut de cohabitant pose problème depuis 20 ans. Tout le monde le dénonce mais on n’arrive pas à avancer. On a quand même mis le pied dans la porte pour les sinistrés et en supprimant la prime amour pour les personnes en situation de handicap. Il faut aller plus loin.

La pandémie a fait de nouvelles victimes: indépendants, artistes, étudiants… Si la pauvreté évolue, la politique doit évoluer aussi. Des efforts sont faits pour revaloriser les allocations les plus basses : 20% en plus d’ici 2024 pour les pensions et les allocations. Les CPAS jouent un rôle indispensable.

Le titre du Plan de Lutte contre la pauvreté a été complété avec les inégalités sociales : Karine Lalieux y tenait. Fiscalité, sécurité sociale : il faut une politique transversale avec les différentes compétences et niveaux de pouvoir, comme on l’a fait pour les personnes en situation de handicap. Les leviers se trouvent à tous les niveaux. Vivre tout juste ne suffit pas, il faut redonner des perspectives aux gens. Les réparation ponctuelles, via des rustines, n’ont  pas permis de réduire la pauvreté, même avant la Covid. La lutte est perdue d’avance si chacun (y compris les politiques) reste dans son kot, la pauvreté ne connaît pas les frontières institutionnelles ou linguistiques. Elio Di Rupo est le président de la conférence interministérielle. Il est partant pour la réunir. Chacun a son plan, à voir comment ceux-ci peuvent se compléter.

 

Bert D’Hondt, représentant du ministre Wouter Beke (ministre flamand bien-être, santé publique et lutte contre pauvreté) : OK pour participer à cette conférence interministérielle.

Le sujet du rapport est très pertinent : le reporting est une mission et tous les 2 ans nous pouvons compter sur un rapport volumineux, intéressant, nourri de la participation des associations et acteurs académiques. En ces temps difficiles, c’est précieux. Ce rapport couvre plusieurs domaines de la vie, plusieurs compétences, chaque autorité a ses tâches à remplir.

Au niveau flamand, le Ministre Beke a veillé à l’automaticité des droits notamment lors de la régionalisation des allocations familiales. Avant la réforme, 170.000 familles avaient droit à un supplément, elles sont maintenant 380.000 car le groupe cible a été élargi. En effet, les allocations familiales sont un droit universel mais les plus bas revenus ont un supplément. Les allocations scolaires ont également été intégrées : avant la réforme, 325.000 enfants y avaient droit. Après, ils sont 454.000. Ce sont souvent les familles les plus vulnérables où le fardeau administratif fait peur.

Le Gouvernement Flamand s’engage à poursuivre sur cette lancée, notamment pour améliorer l’accueil de la petite enfance. En matière d’accessibilité des services, on ne peut pas tout automatiser. D’où le concept d’accueil intégré : quelle que soit la demande, CPAS, mutuelles ou autres organisations doivent coopérer pour accorder ces droits. Le plan flamand de relance et de résilience intègre ces préoccupations jusqu’au niveau local pour assurer que les gens bénéficient de leurs droits. Des coaches familiaux accompagnent les familles qui connaissent des situations complexes. Souvent les problèmes s’accumulent. Ces généralistes recourent si nécessaire à des collègues spécialisés, et font en sorte d’éviter que les familles doivent tout le temps raconter la même chose à chaque expert.

En Flandres, les chiffres les plus récents n’indiquent pas de hausse structurelle de la pauvreté : le taux d’activité est assez élevé mais il reste à voir comment les personnes sur la touche peuvent accéder au marché de l’emploi.

 

Question sur la pauvreté énergétique : quelle est la concertation entre les politiques? En mars 2022 des coupures d’électricité seront possibles, beaucoup de gens seront pris au dépourvu.

Réponse de Karine Lalieux : les tarifs sociaux ont été élargis pour un million de personnes, pour lesquelles une prime de 80€ est également prévue. Il y a aussi un travail sur les normes énergétiques. 7 millions ont été ajoutés au fonds Gaz-élec destiné aux CPAS : l’ensemble des personnes en difficulté peuvent y aller, pas seulement les bénéficiaires du revenu d’insertion sociale. 75% des personnes qui y ont recours sont en effet des personnes qui n’en bénéficient pas.

Dans chaque administration fédérale il y a un expert pauvreté, un expert du vécu. Le ministre Van Peteghem prépare une grande réforme fiscale qui sera débattue au Parlement. La globalisation des revenus n’est pas dans l’accord de gouvernement mais le PS est pour. En tout cas, il y a matière à réformer la fiscalité pour la rendre plus équitable…

Le Rapport Solidarité et Pauvreté vu par LST