1ère commission mixte wallonne

Retour sur l’aventure du collectif citoyen CaP Démocratie (CaP pour Citoyen·nes au Parlement) qui s’est constitué avec la volonté de soutenir la création d’un dialogue citoyen permanent en Wallonie, via une Commission Mixte au Parlement Wallon : mise en œuvre, résultats, étapes-clés, difficultés et appropriation.

Face à la crise démocratique qui sévit dans nos pays, des citoyen·nes se mobilisent…Ainsi, le collectif CaP Démocratie, qui s’est appuyé sur l’article 130 bis du règlement du Parlement wallon : le 14 juin 2023, les parlementaires wallons décidaient – à l’unanimité – et pour la première fois, la mise en place d’une Commission délibérative mixte composée de 30 citoyen·nes tiré·es au sort et de 10 élu·es.

Ladite Commission Mixte a clôturé ses travaux le 25 février 2024, relayant positivement la suggestion du collectif au Parlement de Wallonie. Chaque groupe politique s’est positionné sur l’ensemble des recommandations de la commission lors d’une séance plénière du Parlement wallon le 24 avril 2024.

Le collectif CaP Democratie a suivi tout le processus. Le 27 juin, à Liège, Zou (Catherine Liégeois) de CaP Démocratie et Fanny de Periferia nous ont partagé leur expérience.

Emergence de CaP Démocratie

En 2022 à Namur, dans une ambiance de déprime post-covid, plusieurs collectifs se sentaient à bout de ressources. Comment remobiliser ? Par des actions concrètes ou la relance d’un débat public visant à protéger la démocratie ? Là fut cité l’exemple du Bürgerdialog en Communauté Germanophone : un dialogue permanent entre citoyens et élus. Et l’envie d’en savoir plus…

Bürgerdialog

Les dimensions suivantes semblaient intéressantes à défendre dans le contexte wallon :

  • Processus institutionnalisé : on n’est pas à côté mais dans l’espace officiel. Tout le parlement est concerné et pas seulement un élu.
  • Tirage au sort : d’où l’implication d’une diversité de personnes.
  • Les citoyens n’interviennent pas seulement ponctuellement ; à côté du Parlement, en permanence, un groupe permanent de citoyens décide des assemblées à tenir, choisit les experts…
  • Qd une assemblée se met en route, d’autres citoyens sont tirés au sort.
  • Ce conseil permanent a une durée de 2 ans
  • Les élus en Communauté germanophone se sont engagés à ce que les recommandations issues de ce dialogue soient prises en compte. Ils peuvent répondre « non », mais doivent se positionner. Cette contrainte est spécifique car trop souvent, il n’y a pas d’obligation de retour.

Articles 127 et 130bis du règlement du Parlement Wallon

L’article 127 permet aux citoyens de fournir par pétition (signée par 1000 personnes) la demande d’être invités à une séance du Parlement Wallon pour présenter une requête.

Cette possibilité a semblé risquée au nouveau collectif : beaucoup d’énergie à dépenser et une forte probabilité de refus… Dans le cas du 130 bis, il faut collecter 2000 signatures et on peut alors suggérer une question au Parlement Wallon. S’il l’accepte, il lance une assemblée mixte sur la question suggérée. Cela a paru plus souhaitable.

Mise en oeuvre du 130 bis

Ce fut un sacré défi de récolter 2000 signatures, sur papier (car personne n’avait encore utilisé l’article 130 bis). Finalement, 3000 signatures furent collectées et livrées au compte-goutte vu l’obligation pour le Parlement Wallon de les contrôler minutieusement. Parallèlement, les partis et le président du Parlement Wallon ont été mis au courant du contenu de la pétition, afin d’amorcer la réflexion sur cette question :  Comment redynamiser la démocratie, en s’appuyant sur le modèle germanophone ?

CaP Démocratie a fait le tour des grands mouvements d’éducation permanente (mitigés), des syndicats (plutôt opposés au départ) et des partis (seul le PS n’a pas répondu). Le discours de Cap Démocratie n’était pas anti-partis, il s’agit surtout de protéger la démocratie en corrigeant ses déviances. Ce message constructif était aussi porté dans les médias.

Une fois la demande déposée et les signatures validées, cette demande doit encore être acceptée. Elle l’a été à l’unanimité, sans doute grâce au tour préalable des partis.

La première commission mixte se met en place

Pourquoi « mixte » ? Côté germanophone, le Bürgerdialog est composé uniquement de citoyens. En Région Bruxelloise, des assemblées citoyennes et mixtes ont déjà été organisées. Chacune de ces formules a ses avantages et inconvénients. La formule mixte a été retenue en Wallonie.

Le comité d’accompagnement : des experts académiques de la thématique, élus pour 2 ans. Ces experts étaient issus d’universités différentes. Il y avait aussi 2 représentants de la Communauté Germanophone et une présence de CaP Démocratie qui a pu observer et analyser.

L’équipe de facilitation : Dreamocracy, sélectionnée par marché public.

Les participants : 10 élus volontaires de la commission Affaires Générales, 30 citoyens effectifs et 30 suppléants. Ces personnes ont été tirées au sort. Sur 3000 courriers, 450 personnes ont répondu. Ensuite les 60 participants ont été sélectionnés selon le sexe, l’âge, la répartition géographique et le revenu socio-économique.

Pour faciliter l’inclusion, les personnes ont reçu 250€/jour de réunion. Interprétation (au besoin) et repas étaient offerts. C’est le plus haut taux de rétribution par rapport à d’autres expériences en Belgique. Une personne qui ne parlait pas bien le français a eu droit à un interprète.

6 rencontres devaient être planifiées. Le timing était serré : l’accord datait du 14/06/2023, et tout devait se passer avant les élections, même avant la dissolution des chambres le 25/04/24.

Chaque rencontre a eu lieu un dimanche. La 1ère était introductive. Deux rencontres ont eu lieu à huis clos (pour éviter les interférences extérieures).

La désignation des élus volontaires a fait l’objet d’une négociation dans le souci de représentation des partis. Etudier la manière de renforcer la démocratie participative en Wallonie s’est avéré complexe. Beaucoup d’infos ont été délivrées le 1er jour et trop peu après. Cap Démocratie a assuré les relais presse.

A la fin, citoyens et élus ont formulé 34 recommandations, passées en vote final, d’abord les citoyens puis les 10 élus. Ceux-ci voulaient faire des amendements… Ce processus d’amendement a un peu échappé aux citoyens. Ainsi, le MR a transformé « mettre en œuvre les recommandations » en « mettre à l’étude ». Comme les citoyens votaient cela, d’autres élus se sont opposés, comprenant que les citoyens n’avaient pas compris. Bref, il y a eu un rattrapage politique.

Le feed-back de CaP Démocratie

Globalement Cap Démocratie a apprécié la mise en oeuvre et la facilitation professionnelle, indispensable. L’équilibre des temps de parole a été globalement observé. CaP Démocratie est plus critique par rapport à la communication autour de cette expérience.

Sur la mixité élus/citoyens dans la Commission, les avis diffèrent mais un avantage est qu’ainsi, les élus apprennent en même temps que les citoyens. En Comunauté germanophone, n’ayant pas participé au processus, les élus se sentent moins engagés, impliqués. Cependant, en Wallonie, suite aux élections, les élus ne sont plus les mêmes…

En Région Bruxelloise, les deux formules ont aussi fait l’objet de débats, certains citoyens s’étant plaints de pressions. Dreamocracy a organisé un séminaire sur ce sujet.

Le coût de la démocratie participative

Certes, cela coûte : mais les indemnités ont permis une participation conséquente : les citoyens effectifs ont commencé à 29, et ont terminé à 27.

À Bruxelles, la presse a relayé des critiques sur le coût de telles initiatives. Cette question suscite des réactions très négatives du côté flamand.

Aussi, il s’avère difficile d’obtenir la participation de citoyens très défavorisés. L’implication de toutes les catégories socio-économiques est une œuvre de longue haleine. Les facilitateurs sont aussi attentifs à la pluralité des expressions.

Que sont devenues les 34 recommandations ?

Après avoir été votées à la dernière assemblée de la commission délibérative, elles sont passées par la Commission Affaires Générales qui a remis un avis positif. En plénière il n’y a pas eu de vote mais un débat et un avis. Une grille de suivi et de mise en œuvre de chacune des recommandations a été actée.

Ces 34 recommandations se répartissent en 4 blocs :

  • Le dialogue citoyen
  • Les commissions délibératives : pour que se mette en place un dispositif de conseil mixte permanent
  • L’ensemble des processus de participation citoyenne
  • Les consultations : les procédures sont plus poussées en Wallonie qu’en RBC.

On y parle beaucoup d’inclusion (notamment des personnes éloignées du numérique), de campagnes d’information multi-canaux et de l’importance d’instaurer un congé politique pour que cela puisse avoir lieu en semaine. Les recommandations contiennent beaucoup de précisions sur les modalités, notamment sur la nécessité de mettre en place une récolte inclusive des sujets à traiter !

Suite aux élections du 9 juin 2024, Canopea a examiné dans la Déclaration de Politique Régionale du nouveau gouvernement wallon, ce que celui-ci retenait de l’expérience de la 1ère commission mixte délibérative wallonne. Une partie seulement de ses recommandations y est évoquée.

Open Constitution

CaP Démocratie continue le suivi de la mise en œuvre, la communication et la sensibilisation sur l’enjeu de redynamiser la démocratie à travers une initiative plus large www.openconstitution.be, une initiative de plusieurs associations & collectifs : Agora.Brussels, Kayoux, Periferia, CAP Démocratie, Meer Democratie, avec le soutien des Amis de la Terre, Dreamocracy, Forum pour la Transition, RCR², Cumuleo, Transparencia, Diem 25, La Hulpe ensemble !, Inter-Environnement Bruxelles, Citoyen Lambda Engagé et de nombreux citoyen·nes.

Ce Réseau Belge des Acteurs de la Participation fait partie d’un réseau européen. En Belgique, ces activistes pour une démocratie participative mettent le doigt sur le fait que les recommandations de l’expérience wallonne comme d’autres sont consultatives et non contraignantes. Pour qu’elles deviennent contraignantes, un changement dans la Constitution est nécessaire…

Pour modifier la Constitution, il faut que les articles à modifier soient ouverts avant la dissolution des Chambres. CaP Démocratie et ses comparses ont fait tout un travail d’analyse en ce sens avec la constitutionnaliste Bourgeaux. Est-ce un risque à prendre ? Craignant que dans 5 ans, la situation soit pire, le collectif a exprimé cette demande que ces articles soient ré-ouverts, en rencontrant les présidents de partis, y compris flamands, excepté le Vlaams Belang. PTB et Défi n’ont pas voulu les recevoir.

Ces contacts ont eu lieu alors que la Chambre, le Sénat et le gouvernement examinaient quels articles devraient être ré-ouverts. Une douzaine d’articles ont été ré-ouverts, dont le 195, qui concerne la manière de réviser la Constitution. C’est l’article le plus dangereux, mais aussi la clé du système…

Parmi les partis gagnants lors des élections du 9 juin, la NVA n’est pas du tout favorable aux propositions des Acteurs de la Participation. Le MR prône le referendum : de l’avis du collectif, cette modalité permet trop de manipuler les opinions. C’est pourquoi Open Constitution suggère une assemblée citoyenne constitutive spontanée. François Jeanjean, un citoyen bruxellois très actif, fédère pas mal de monde autour de cette idée.

Nourrir le débat

Avec l’émergence de ce Réseau Belge des Acteurs de la Participation, on voit qu’une série d’associations ont embrayé dans la dynamique. Associations 21 suggère que d’autres, qui étaient sceptiques au départ, reconsidèrent la question, à la lumière des résultats des dernières élections.

Les articles publiés par Periferia et Canopea permettront de documenter le débat. Ces deux organisations alimentent le site https://www.demopart.be/dokuwiki/doku.php. Faisons en sorte que ces expériences passionnantes et en particulier les recommandations de la 1ère commission mixte wallonne rebondissent largement dans l’opinion publique ces prochaines années!

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