Le 29 octobre 2020, la Direction Développement Durable du Service Public de Wallonie a animé un atelier du SDG Forum sur le nécessaire rapportage de la Belgique sur la voie du Développement Durable. Comme l’a rappelé en introduction Natacha Zuinen, coordinatrice de la Direction DD, rendre des comptes en toute transparence est la base de la gouvernance et la responsabilité des pouvoirs publics. Deux rapports intéressants présentent l’occasion de relancer cette mécanique durant le SDG Forum 2020 :

Cet automne, la mise en place du nouveau gouvernement fédéral rend cet atelier encore plus pertinent. En 2017 La Belgique a réalisé un Rapport National Volontaire (RNV) pour le rendez-vous estival annuel à New-York (HLPF) où la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable (ODD) dans chaque pays est évaluée par des pairs. Vu que ces ODD ont été adoptés en 2015, ce RNV était surtout un état des lieux. La même année, notre pays a adopté une Stratégie Nationale de développement durable. Dans la foulée, la CIMDD (Conférence interministérielle pour le Développement durable) devait rédiger un rapport d’avancement deux fois par législature. Ce ne fut pas fait.

Quid de la gouvernance DD au niveau belge ?

Pol Fyalkowski, auditeur adjoint de la Cour des Comptes, présente le Rapport de mise en œuvre du DD paru cet été, qui concerne les différents niveaux de pouvoir et la coordination nationale.

L’approche développée s’inspire de celle de la Cour des Comptes des Pays-Bas. Ce modèle en 7 étapes vise 4 grandes questions :

  • L’engagement politique et des parties prenantes
  • La répartition des responsabilités, compétences et moyens, quelle coordination
  • L’élaboration de plans stratégiques avec des objectifs clairs
  • Le suivi et le rapportage.

Ce n’est donc pas à proprement parler un rapport de la mise en oeuvre des ODD mais plutôt de sa gouvernance : les conditions sont-elles réunies pour mettre en oeuvre les ODD ?

Sur base d’une analyses documentaire (législation, plans, indicateurs…), des questionnaires sont complétés par des entretiens. La Belgique s’est donc engagée à faire ce rapportage. Pour compléter le tableau, chaque niveau de pouvoir est tenu de faire rapport régulièrement.

Au niveau fédéral, la loi de 1997 prévoit différents types de rapportage : rapports annuels de chaque service public fédéral et de chaque service programmatique. La Commission interdépartementale les collecte.

Un Plan Fédéral de Développement Durable est élaboré pour chaque législature et en fin de législature, la CIDD doit faire le bilan de l’exécution de ce plan. Au niveau fédéral, plus aucun plan n’a été adopté depuis 2008. Seules des actions réalisées ont été rapportées, ce n’est donc pas un suivi de la mise en oeuvre d’une stratégie.

Le Bureau Fédéral du Plan fait aussi 2 rapports par législature : ceux-ci sont très riches. La Cour des Comptes n’a pas analysé le lien avec le Semestre Européen

Quid de la consultation de la société civile ? Les conseils consultatifs ont été interrogés, sans plus (au niveau fédéral, il s’agit du CFDD, Conseil Fédéral du Développement Durable).

Situation du rapportage au niveau international

Damien Barchiche est directeur des programmes gouvernance DD à l’IDDRI, Institut (Français) du Développement Durable et des Relations Internationales. Il revient d’abord sur le préambule de l’Agenda 2030 : c’est un plan d’action pour les humains, la planète et la prospérité. On l’oublie trop souvent, au risque de se cantonner à du cherry picking avec les 17 ODD ou à retourner au travail en silo. Il faut toujours garder une vision systémique avec cet agenda de tous, fixant clairement la priorité aux plus vulnérables, surtout dans le contexte actuel. Cela doit être en trame de chaque rapportage.

Cet agenda transformateur doit amener à un changement systémique. Certains ODD peuvent être utilisés de manière plus subversive que d’autres. C’est la poursuite collective de tous les ODD qui rend cet agenda transformateur. Le rapportage éclaire les dynamiques, les questionnements, les difficultés. L’intérêt ce n’est pas le Rapport National Volontaire en tant que tel mais tout le travail pour y arriver.

En Afrique, on voit le rôle positif de l’Agenda 2030 pour l’adoption de nouvelles approches de gouvernance durable : planification moins technocratique et plus systémique, ouverte à la participation de la société civile et des acteurs économiques. Ainsi, le Maroc a organisé deux grandes consultations nationales. L’Afrique du Sud s’est dotée d’une commission planification. En Namibie, le 5e Plan National dével intègre les ODD. Le Kenya a créé un SDG Kenya Forum avec les parties prenantes. Les acteurs non étatiques y partagent leur analyse.

L’Amérique Latine est la région à l’origine de l’idée même des ODD. Plusieurs pays ont placé la responsabilité de la mise en oeuvre de l’Agenda 2030 au plus haut niveau. 29 pays sur 33 ont créé des mécanismes institutionnels ad hoc, qui permettent de relancer le débat sur des plans de développement à long terme et les processus budgétaires qui doivent aller de pair.

La France a adopté une feuille de route. 1er écueil : c’est un processus parallèle, une couche supplémentaire par rapport aux autres stratégies existantes. On n’a pas réussi à saisir l’occasion pour intégrer ces processus. L’autre écueil français : ce processus est surtout porté par les administrations. Même si ce processus a mobilisé une grande diversité d’acteurs, il manque une impulsion politique au plus haut niveau pour assurer l’état des lieux et la remise en cause des pratiques.

Peu de pays ont présenté un plan de financement complet de mise en oeuvre des ODD. Il faut mieux relier mise en œuvre et financement. Cela vaut à la fois pour les pays en développement et les membres de l’OCDE. L’IDDRI propose aussi aussi une véritable revue de l’ensemble des processus par les pairs, accompagnés par des experts indépendants de la société civile. Lors du rapportage suivant le pays devrait démontrer qu’il a tenu compte des remarques lors du précédent rapport.

Question : quid de l’impact de la crise Covid sur la mise en œuvre de l’Agenda 2030 ?

Damien Barchiche : on dialogue beaucoup avec des acteurs des différents continents. Le secrétariat général de l’ONU met l’Agenda 2030 au cœur de son discours « build back better » (apprendre de ses erreurs pour refaire en mieux). Or c’est très peu pratiqué. L’Union Européenne a un rôle fondamental à jouer pour initier ce mouvement. Ainsi, des homologues Allemands de l’IDDRI ont vérifié l’articulation Green Deal / Agenda 2030 : il y a des trous dans la maquette…

Le 1er ministre Espagnol prend quant à lui un vrai leadership pour mettre en œuvre l’Agenda 2030. Le ministre en charge est celui des affaires sociales.

Question d’Alain Henry (Bureau du Plan) : comment procéder avec les outils économiques habituels ?

Réponse : le 28 octobre, l’IDDRI a publié une nouvelle étude sur l’alignement des Banques Publiques de développement avec l’Agenda 2030, sur base d’un dialogue avec une trentaine de ces banques. Certaines essayent d’utiliser l’Agenda 2030 comme méthodologie ou comme philosophie. Celles qui avancent sont celles où l’on se pose des questions en amont, où l’on accepte de remettre en question tout le business model. Ex de banques régionales brésiliennes, qui face à Bolsonaro, s’appuient sur la légitimité de l’Agenda 2030. Déjà se poser des questions c’est important.

La parole à Sandra Pellegrom, Nationaal SDG Coordinator aux Pays-Bas

Ce pays en est à son 4e rapport national, et son intérêt réside dans la mobilisation des stakeholders. Beaucoup étaient enthousiastes. Le défi : transformer cet enthousiasme en actions concrètes. 17 alliances sur base des 17 SDGs ont été créées et fonctionnent avec succès. Cf https://www.sdgnederland.nl/

Sandra Pellegrom souligne le rôle des organisations particulières mais aussi de toutes les coupoles, fédérations, clubs… qui jouent des rôles actifs dans le stuurgroep.

Le fait de rendre des comptes est le rôle le plus important du rapportage, outre le processus bien sûr. D’où le rôle crucial du Bureau des statistiques, du rapportage national sur les SDGs, et de la VNR (« koninglijke aangelegenheid »). Voir aussi le Monitor Brede Welvaart & SDG 2020 qui encourage une appropriation politique de l’Agenda 2030 : les politiques sont stimulés à suivre de bout en bout la mise en œuvre. Le « Antwoording dag » (jour des réponses), une discussion est menée avec le 1er ministre. Pourr la 1ère fois il y a 2 ans, l’Institut des Droits Humains a été invité à contribuer.

Des améliorations sont encore souhaitées, notamment au niveau régional pour des défis spécifiques. Autre amélioration possible au niveau international : en 2017, lorsque les Pays-Bas ont présenté leur Rapport National Volontaire à l’Onu, c’était lors d’une session commune avec le Kenya, le Bangladesh et le Costa Rica et ND. Cela donnait une vue particulière de mener ensemble cette expérience. Mais il y a eu peu d’interactions, l’occasion d’apprendre les uns des autres était un peu manquée. Du coup, les Pays-Bas ont organisé une session ad hoc. La préparation surtout a été intéressante.

Qu’en pense la société civile ?

Mar Depoortere, directeur du CFDD, fait part de l’avis du CFDD sur le rapport belge pour le Rapport National Volontaire belge de 2017. Cet avis était demandé par la CIMDD. Le CFDD a construit un avis commun avec tous les conseils régionaux, sur une courte période et alors que chacun de ces organes avait ses propres méthodes de travail. On a alors surtout souligné les efforts faits par les administrations. Cependant, il ne faut pas se cantonner à afficher une belle vitrine. Un tel rapport est l’occasion d’une analyse critique : si des résultats ne sont pas atteints, pourquoi ? Et de dépasser l’état des lieux. La structure institutionnelle de notre pays peut être aussi une opportunité pour l’appropriation de l’Agenda 2030 à tous les niveaux. Une certaine dynamique a démarré en 2017 mais ne s’est pas poursuivie. Pour cela, la complexité institutionnelle a bon dos. La raison en était surtout un manque de volonté politique.

Rebecca Thissen, du CNCD-11.11.11, coordonne la plateforme Perspective 2030 qui veille à la mise en œuvre des ODD en Belgique, et dont fait partie Associations 21. Elle partage les constats de Marc Depoortere. La société civile est motivée et organisée pour contribuer à de tels avis, à condition de délais raisonnables. Nous sommes surtout demandeurs d’un leadership politique ! Afin d’assurer un processus régulier, incluant différents acteurs :  les « usual suspects » et d’autres moins visibles, comme par exemple des groupes marginalisés.

Ce processus doit être réellement inclusif : il ne suffit pas de demander l’avis de la société civile à la fin. Nous nous réjouissons de voir à présent que l’accord du nouveau gouvernement évoque la CIMDD. Nous pointons également le rôle du CFDD et des parlements.

La politique se fait avec et non pour les gens, comme nous l’avons rappelé lors du Forum Durabilité et Pauvreté le 21 septembre 2020.  Le rapport du même nom du Service de Lutte contre la Pauvreté montre tout l’intérêt de la méthode.

L’indivisibilité est au cœur de l’agenda. Attention à la collecte des données. On voit dans l’exercice wallon que beaucoup de données sont manquantes. Aussi, la crise sanitaire menace de ralentir de certains ODD comme le 13 (climat) voire de provoquer des reculs (ODD 1, pauvreté, ODD5, égalité des gens). La donne a changé. Et il reste moins de 10 ans.

C’est pourquoi Perspective 2030 demande d’inscrire l’Agenda 2030 dans un cadre législatif et budgétaire clair, et dans chaque note de politique de chaque ministre. Enfin, n’oublions pas le respect des engagements internationaux de la Belgique : les 0,7% de financement de la coopération au développement et le financement additionnel climat.

Norman Vanderputten du Forum des Jeunes aurait souhaité un débat plus ample là-dessus. « We treasure what we measure » : cette mesure doit être préalable au vote du budget.

Il faudrait plus de conférences de presse sur les SDGs. Aussi, qui lit ces rapports ? Il faudrait une traduction visuelle pour pouvoir voir en un clin d’œil où on en est pour chaque ODD.

Le Bureau Européen de l’Environnement a constaté que les rapports sont beaucoup trop optimistes : on n’inclut pas les émissions de gaz à effet de serre dans la consommation. C’est une demande de longue date de la société civile. La conclusion de la Cour des Comptes doit se trouver dans le reporting.

Quant au processus, on doit pouvoir refuser de participer à l’élaboration d’un rapport où l’on n’est pas inclus assez tôt. Un reporting nécessite du temps et de moyens. La société civile n’est pas la béquille du rapport des institutions.

Les forums des Jeunes francophones et néerlandophones s’unissent pour crier gare : le fédéralisme ne peut pas être un frein au reporting des ODD. Quel scandale que la CIMDD ne se réunit plus. Il faut une coordination !

Ces notes d’Antoinette Brouyaux seront complétées aussi rapidement que possible par les présentations powerpoint des intervenants cités.