Constats généraux
Par rapport à la crise qui entraîne une baisse du pouvoir d’achat pour beaucoup de gens, une chose est de se dire « je deviens pauvre, je réduis ma consommation » et autre chose est de vivre la pauvreté depuis longtemps. Alors on ne peut plus réduire, la question de diminuer ne se pose même pas.
Les modèles excluants, les mécanismes qui appauvrissent, ne sont pas assez remis en cause. D’un côté, on développe des démarche d’assistance. De l’autre, on fragilise des protections sociales comme la sécu. Un exemple de conditionnalité des droits : en tant qu’allocataire social, on ne peut plus héberger quelqu’un sans être sanctionné → on casse ainsi la solidarité familiale/amicale.
La vraie question est celle de la redistribution. On n’exige pas assez que les solutions s’attaquent aux causes du problème. On manque d’ambition, on veut « accompagner » la pauvreté, la « ménager »… Ce sont les mécanismes d’exploitation qui rendent l’accaparement possible, ex. des terres dans le Sud, mais aussi chez nous.
Il est important de recréer des liens entre personnes, des collectivités. La collectivité permet entre autre d’apprendre, de progresser ensemble et de faire des projets. Quand ces collectivités sont des alliances de proximité, on peut apprendre par exemple à (re)devenir des « locavores » (des personnes qui consomment localement) en partageant terrains et savoir de jardinage, à créer des filières d’alimentation durables, à s’entraider pour l’isolation des maisons, à favoriser le jardinage. Sachant que ce type de solidarité est interdit pour la plupart des allocataires sociaux.
Malgré tout le travail de sensibilisation à l’environnement réalisé, les réalités et la parole des publics défavorisés sont rarement pris en compte. Par exemple, l’intérêt des plus pauvres est souvent ignoré en matière de performances énergétiques (PEB) ou d’insalubrité des habitats.
Cela va de pair avec l’idée de se regrouper, de travailler ensemble, de recréer des solidarités. Tout cela n’est pas facile et prend du temps, il faut des moyens pour l’accompagnement. Or ce travail n’est pas pris en considération. Parfois même, le droit d’association est remis en cause par la limitation de ce droit imposée aux allocataires sociaux (autorisations exigées pour participer à des activités qui relèvent du droit d’association…).Par ailleurs, la conditionnalité du subside au respect d’une charte de déontologie qui demande de ne pas rassembler les personnes pour manifester ou porter une revendication collective (pacte associatif, relais sociaux, agents de concertation dans le cadre du Plan HP…). Or être ensemble, c’est un acte politique. Il ne faut pas avoir peur des paroles dissonantes ou alternatives. Nous voulons réinvestir le politique ! Ainsi, pendant des années, les associations négociaient toutes seules. Actuellement on voit des embryons de rassemblement dans le monde associatif/citoyen.
Par ailleurs, il y a des lieux où la participation est « imposée » et donc la liberté de parole des participants y est relative (par exemple : l’obligation de participer à des groupes de parole ou autres activités afin d’obtenir ou de maintenir le RIS). Alors que la participation libre à des initiatives citoyennes est souvent conditionnée.
Par rapport à l’alimentation
Une alimentation de qualité pour toutes et tous implique de lutter contre les inégalités en général, et notamment en matière d’alimentation. Or l’alimentation est un bien accessible via le marché et l’accès à ce marché est inégal.
De plus les modalités de ce marché ne sont pas justes. Ex. prix que reçoivent les producteurs : il ne leur assure pas un revenu correct et il ne correspond pas au vrai coût de production. Il est biaisé par les subsides, la spéculation… D’autre part les coûts environnementaux ne sont internalisés que dans le cas du bio qui du coup est plus cher, alors qu’il devrait être meilleur marché ! (Puisqu’il pollue moins!)
En Belgique, la part des revenus alloués à l’alimentation est de 16% : c’est une moyenne. Donc pour certains consommateurs, l’alimentation ne coûte presque rien, pour d’autres, tout est trop cher. Il faut que le consommateur ait suffisamment de revenus pour pouvoir acheter ce qui est produit et pouvoir faire un choix. Le prix correct pour le producteur doit être lié à un revenu correct pour le consommateur.
Producteurs et consommateurs sont otages des intermédiaires qui profitent des hausses de prix pour augmenter leurs marges. Une proposition (de la Fugea) est donc d’augmenter la part de la vente directe consommateur-producteur.
La dignité est aussi importante qu’un ventre rempli. Or le « don alimentaire » se substitue au « droit à l’alimentation », ce qui induit une confusion dans la compréhension du droit à l’alimentation (banques alimentaires, resto du cœur…) C’est une humiliation de devoir demander sa nourriture. Le droit implique des conditions dignes d’accès aux moyens d’existence.
De plus, quelle dépendance, si les plus pauvres doivent compter sur les surplus des magasins : quid lorsqu’il n’y aura plus de surplus, on va mourir de faim ? Au risque de perdre le réflexe de se faire soi-même à manger. Mais comment critiquer les aides alimentaires alors qu’on en est totalement dépendant aujourd’hui… ?
Aussi, la pauvreté augmentant, par exemple à Charleroi, les Restos du cœur, le CPAS et la Croix-Rouge sont débordés, ils ne peuvent répondre à toutes les demandes. Et encore, pour y accéder il faut des papiers. Il y a donc des exclusions parmi les exclus.
Dans la coopération au développement, on constate aussi que l’aide alimentaire est un facteur aggravant. Les producteurs locaux ne peuvent plus obtenir un prix rémunérateur, et sont donc poussés à abandonner leurs cultures –> L’aide alimentaire doit se faire en achetant localement, ou en donnant de l’argent aux consommateurs pour qu’ils puissent acheter les produits.
Le problème des situations d’urgence, c’est qu’elles ouvrent la porte à des importations massives : riz thaïlandais au Sénégal, dépendance d’Haïti à Monsanto suite au tremblement de terre…
Autre problème : la concentration de pouvoir au sein du commerce alimentaire. 3 firmes contrôlent 90% du commerce du grain. On pose ainsi la question du contrôle du marché : par une poignée de multinationales ou par les citoyens et les collectivités ? Qui décide : les multinationales, les financiers, les politiques, les citoyens ? → besoin de plus de transparence, de contre-pouvoir, de mobilisation citoyenne.
Pourquoi se mobiliser ? Que faire ? Ce n’est pas facile d’expliquer le problème de l’arme alimentaire et la dépendance aux colis alimentaires, chez nous. On comprend mieux l’exemple du Sud. Un exemple en Belgique : dans les années ’60, avoir un potager était une condition pour un logement social. Actuellement, on interdit à des locataires de logement sociaux d’avoir des poules ou de faire leur potager. Mais on leur fournit des colis alimentaires et on envoie des poulets congelés au Sud ! Dans les deux cas, l’enjeu est la souveraineté alimentaire.
Quels critères mettre en avant pour évaluer les bonnes mesures ?
Dialoguer implique des exigences : c’est plus qu’écouter davantage les plus pauvres. Le dialogue c’est la confrontation des perceptions des uns et des autres, voire des intérêts opposés, avec un arbitrage de ceux-ci.
Il faut aussi les moyens d’organiser un tel espace de dialogue (exemple de l’Agora sur le décret de l’aide à la jeunesse, qui permet un tel dialogue, même si cela reste difficile), et mettre en place des procédures pour arriver à des « co-décisions ». Attention : qui dit co-décision dit aussi co-responsabilité ! → S’il est légitime que la société civile s’exprime dans des lieux de décision, il faut aussi officialiser cette légitimité.
Le dialogue avec les personnes concernées par une politique qui les affecte est nécessaire. C’est une condition sine qua non pour toute politique de développement durable, comme cela a été identifié à Rio en 1992 → à rappeler à Rio+20 !
Donner une priorité à ce que chacun puisse participer à la vie économique et sociale en veillant à ce que les richesses produites soient réparties équitablement. Sans doute que cet objectif sera plus facile à atteindre si on relocalise les pratiques de production et de consommation.
Alors que beaucoup parlent de l’importance d’être acteur, la possibilité de choisir et produire, n’est pas la même pour tout le monde. Pour les plus pauvres, c’est souvent la débrouille, qui est parfois sanctionnée au niveau des allocataires sociaux (cultiver un potager, faire son bois, avoir un petit élevage, faire la récupération… devient parfois illicite). Moins on a, moins on a de choix, même pour des besoins fondamentaux. Ceci dit, la débrouille permet parfois le développement d’alternatives intéressantes. Il ne faut donc pas vouloir tout cadenasser.
Vérifier l’impact des mesures politiques sur les plus pauvres, avant de les décider. Exemples pour lesquels on n’a pas tenu compte de l’impact sur les plus pauvres :
— la professionnalisation du recyclage : en formalisant les activités de recyclage, on a désapproprié beaucoup de personnes d’une activité leur permettant d’être autonomes.
— Les semences paysannes, outil d’autonomie, versus les semences qu’on doit obligatoirement acheter aux multinationales.
— Les normes en matière de salubrité ou d’énergie rendent l’accès au logement encore plus difficile pour les plus pauvres.
Nos revendications
Nous ne voulons pas d’un dialogue micro-trottoir qui nous instrumentalise mais d’une réelle concertation (qui permette une vraie négociation) qui prenne le temps et soit prise en compte, dans un climat de transparence.
Nous voulons être impliqués en tant qu’acteur car c’est le seul moyen de mettre en place une politique qui ne nous enferme pas dans la dépendance mais qui mène les gens à plus d’autonomie. Cela on ne l’obtiendra qu’à la condition d’une réelle concertation. Ce critère de l’autonomie peut servir à évaluer les politiques à mener.
Nous voulons aussi une remise en cause des politiques qui exacerbent les inégalités au profit du monde financier en désappropriant une part importante de la population des bénéfices de la création de richesse.
Nous luttons aussi contre la conditionnalité croissante des droits, qui va à l’encontre du fait que les plus pauvres doivent pouvoir être acteurs. Il reste un soupçon généralisé de fraude, d’à priori, pour les lois qui visent les chômeurs, les pauvres.
Nous voulons des politiques qui permettent des prix rémunérateurs pour la fonction nourricière plutôt que pour les intermédiaires, et qui permettent des revenus décents pour les consommateurs.
La souveraineté alimentaire, qui est le droit des peuples à déterminer de façon démocratique leurs propres systèmes alimentaires et agricoles, dans le respect des humains et de l’environnement, doit amener à « relocaliser » le marché de l’alimentation.