Le 26 septembre 2019, l’Université Saint-Louis de Bruxelles a remis le titre de Docteur honoris causa à Marjan Minnesma, représentant la fondation néerlandaise Urgenda, qui s’est fait connaître pour avoir poursuivi l’Etat néerlandais en justice pour inaction climatique. Ce que l’on sait moins, c’est sa contribution à la réduction effective des émissions de gaz à effet de serre aux Pays-Bas…

Honorer un collectif et non une personne par ce titre, est exceptionnel…

L’action d’Urgenda l’est aussi. Le recteur Pierre Jadoul situe l’université dans le contexte sociétal préoccupant de l’Anthropocène. L’humain concurrence les forces telluriques dans la transformation de la planète. Et la connaissance scientifique, l’accumulation de données sont telles qu’on ne peut plus penser que l’humanité n’y est pour rien. Au-delà d’un débat entre sciences de la vie et de la nature, la question est anthropologique : dans quel monde voulons-ns vivre ? Les sciences humaines doivent être mobilisées.

L’approche d’Urgenda

Delphine Misonne, professeur de droit, gouvernance et développement durable à Saint-Louis, explique: en 2012, on ne savait pas où on allait. Kyoto était fini, il n’y avait pas encore l’accord de Paris. Urgenda a décidé de provoquer le débat par une judiciarisation, pour remettre le climat à sa juste place dans la démocratie. Ses membres avaient la conviction qu’il fallait agir vite. Ils s’étaient déjà rendus au Parlement avec un spécialiste de la Nasa… Rien ne bougeait. Le gouvernement était convaincu que c‘était une question politique et non juridique. Mais Urgenda a avancé : que doit faire un Etat pour ses citoyens et les générations futures quand la menace du changement climatique est si importante ? N’y a-t-il pas un lien avec les droits humains ?

Marjan Minnesma retrace le fil des événements. Urgenda (contraction d’urgence et d’agenda) a été créée en 2007 en vue de solutions rapides et durables pour sauver le climat. On ne pourra pas reculer de 2 à 1,5°. La révolution est justifiée : c’est le titre du livre de Roger Cox. Il y explique pourquoi la pression de la justice est nécessaire. Lors des premiers débats avec l’Etat néerlandais, le gouvernement répondait « nous ne voulons pas être un front runner ». C’était ridicule car ils étaient en queue de peloton pour la production d’énergie renouvelable. Et « nous sommes si petits, pourquoi nous ? » : les Pays-Bas étaient le 32e émetteur de GES dans le monde. Par personne, ils se retrouvaient dans le top 10 ! En tant qu’émetteurs historiques, de surcroît.

Pour financer l’action en justice, Urgenda réunit près d’un millier de co-plaignants. L’assignation à comparaître est introduite en novembre 2013. Le gouvernement répond en avril 2014. Le 24 juin 2015, le verdict favorable aux plaignants, paraît en même temps en néerlandais et en anglais, d’où sa renommée rapide. L’argumentation est originale : elle combine atteintes au droit civil et avancées de la science.

En passant par la Belgique…

Dans la foulée, et en vue de la COP 21, des membres d’Urgenda entament une marche d’Utrecht à Paris (620 km) pour lancer un mouvement, en passant par Bruxelles où la Coalition Climat les accueille. A ce moment-là, une Klimaatzaak / Affaire climat se prépare en Belgique… (Dernières nouvelles de la procédure belge).

Renommée mondiale

En octobre 2018, Urgenda gagne en appel, grâce à l’argument « duty of care » de la Convention européenne des droits humains. Il reste une action en cours en cassation. Le verdict tombera le 20 décembre 2019. Dès la victoire de juin 2015, le cas néerlandais inspire de nombreuses autres procédures de par le monde. Il est discuté dans toutes les facultés de droit. Urgenda a aussi confirmé le rôle des ONG dans la société. Aussi, ce parcours fut riche en émotions, actions festives et participatives. Cependant, il ne s’agit pas d’attendre que l’Etat, condamné, agisse : Urgenda propose également un agenda d’actions.  

Les académiques qui ont créé cette fondation s’impliquent concrètement pour réduire les émissions de CO2 avec le programme Het kan als je het wilt, une méthode de management pour aider les particuliers à atteindre la neutralité carbone dans leur habitat, et contribuer ainsi à l’objectif de -50% d’émissions  en 2030. Des commandes groupées de panneaux solaires permettent de rendre les prix accessibles et ainsi, de changer le marché.

Avec 700 organisations, Urgenda a lancé le 40 puntenplan, 40 actions pour réduire de 25% les GES d’ici 2020.

La notion d’urgence climatique est particulièrement sensible aux Pays-Bas qui portent dans leur nom même la fragilité et la finitude de leur territoire. La mer monte de 3,6 mm/an à présent. On a construit des digues pendant 100 ans. Pourra-t-on tenir le rythme de travaux rendu nécessaire ? Il est question maintenant de 2,5 à 3 mètres de hauteur en plus d’ici 2100… La différence d’impact entre 1,5 et 2°C est énorme. L’adaptation ne suffira pas. D’où les manifestations des jeunes : il était temps !

Comme l’a confirmé la justice, l’Etat doit protéger ses citoyens, sa liberté n’est pas illimitée. Il doit réduire de 25% les GES d’ici 2020. Le gouvernement ne l’a pas fait. Pourtant cette demande n’était pas irréaliste. On vise à présent 2030.

Urgenda a également fort à faire pour soutenir des initiatives similaires dans d’autres pays : outre la procédure belge qui réunit à présent 58.000 co-plaignants, il y a celle de la France (2 millions de signataires !) et bien d’autres. Même le pape les soutient. Et maintenant les enfants s’y mettent avec Greta !

Rapport Antoinette Brouyaux

La remise du titre de DHC à Urgenda dans la presse néerlandaise

 

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