Associations 21 a assisté ce mardi 10 octobre au 4e épisode de la conférence “Pour la régulation des loyers”, organisée par le Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat. Afin d’explorer la thématique « Rénovations énergétiques : comment contenir les loyers ? », des experts de la rénovation énergétique et de l’habitat à Bruxelles ont partagés leurs savoirs et expériences de terrains.
Cette conférence intervient après la présentation du “Pacte Logement Énergie”‘, apportant ainsi des éclaircissements et relançant les débats concernant la faisabilité des rénovations énergétiques dans le contexte bruxellois.

Précarité Énergétique et Défis de la Rénovation Immobilière à Bruxelles

Sandrine Meyer, chercheuse et professeure en éco-architecture (ULB et UCLouvain), nous éclaire sur les aspects essentiels de la précarité énergétique et des défis de la rénovation immobilière à Bruxelles.
Elle pointe trois formes de précarité énergétique, résultant de divers facteurs : les revenus des ménages, l’inefficacité énergétique des logements et les tarifs de l’énergie. Les populations les plus touchées par la précarité énergétique sont les familles monoparentales et les locataires, en particulier ceux vivant dans des logements de moindre qualité. Ces groupes sont pris dans un cercle vicieux induit par la relation entre la précarité énergétique et les problèmes de santé, en particulier ceux liés à l’humidité des logements, ainsi que par l’impact de cette situation sur les revenus des individus et donc sur leur accès à des logements de meilleure qualité.
Les rénovations énergétiques visent à améliorer la qualité des logements et à réduire la précarité énergétique. Cependant, elles peuvent s’accompagner d’un possible effet rebond, c’est-à-dire une augmentation de la consommation liée à la réduction des limites d’utilisation (comportements individuels, finances, écoresponsabilité). En conséquence, l’efficacité énergétique seule ne peut pas suffire à réduire la consommation énergétique globale.

De plus, les projets de planification de la rénovation énergétique du bâti et des aménagements territoriaux plus durables sont parfois perçus comme une menace. Pour les propriétaires, cette menace réside dans leur motivation et leur capacité financière à assumer les investissements nécessaires. Pour les locataires, l’enjeu est le risque d’expulsion pendant la durée des travaux dans un contexte bruxellois marqué par une crise du logement. De plus, ils courent le risque de voir leur loyer augmenter à la suite de l’amélioration du logement, sans être garantis de réaliser des économies sur leur facture énergétique. Pour les autorités publiques, elles risquent de faire face à une réduction significative du nombre de logements autorisés après les travaux et après la mise en conformité urbanistique selon les normes actuelles.
En effet, les caractéristiques du parc locatif à Bruxelles-Capitale représentent un véritable défi. Notamment en raison de sa prédominance de logements collectifs anciens et coûteux, divisés en appartements sans respect des normes urbanistiques, et dont moins d’un tiers sont occupés par leurs propriétaires (contre 67 % pour l’ensemble de la Belgique).
De nombreux obstacles entravent la rénovation du parc locatif. On y retrouve les “split-incentives” où les investissements sont à la charge du propriétaire, tandis que les bénéfices en termes d’amélioration du confort ou de réduction des factures énergétiques reviennent au locataire (en Belgique, le loyer payé par le locataire est généralement hors charges, y compris énergétiques), créant ainsi une situation où les intérêts divergent. D’autres facteurs freinent la rénovation, tels que les incertitudes concernant la conservation du bâtiment, comme l’âge du propriétaire et sa stabilité professionnelle ou familiale. Dans de nombreux cas, la multiplicité des propriétaires complique la réalisation des travaux. Les copropriétés formelles et informelles impliquent plusieurs ménages aux profils variés de propriétaires, tantôt occupants, tantôt bailleurs, avec des capacités financières et des intentions divergentes. Les copropriétés formelles présentent l’avantage de pouvoir valoriser leur personnalité juridique, facilitant ainsi l’accès à des prêts de rénovation ou à l’obtention de tarifs avantageux grâce à des devis groupés.

Sandrine Meyer suggère, pour inciter les propriétaires à rénover, un mix de politiques :

  • Refonte de la fiscalité afin d’encourager la rénovation des logements et la modération des loyers
  • Accompagnement à la rénovation adapté aux copropriétés
  • Fixation de normes minimales d’efficacité énergétique (MEES)
  • Aides financières alternatives : l’AIS, le Renov Assist, et le projet CLTB.

Renolution – Rénover Ensemble pour une Ville Durable

Pour Isabelle Sobotka, architecte et coordinatrice de la stratégie bruxelloise Renolution au sein de Bruxelles Environnement, il existe un consensus au sein du secteur associatif sur la nécessité et l’urgence de réguler les loyers et de lancer des rénovations énergétiques. Cependant, cela crée un dilemme : comment rendre cela possible sans que l’impact de ces rénovations ne se répercute sur le loyer et, par conséquent, sur le locataire ?
Le projet Renolution a été lancé pour répondre à ce dilemme et pour concrétiser l’objectif belge de “zéro émission de carbone d’ici 2050”. Ce projet est conduit par Bruxelles Environnement, Urban.brussels, Constructiv et Be.brussels.

La stratégie bruxelloise, adoptée en 2019, se concrétise avec des mesures spécifiques en 2023 via le Plan Air Climat Energie 2030 (PACE) et d’ici 2024 grâce au Code Bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie (COBRACE).
Le projet vise à réduire à la fois les émissions directes liées à la performance énergétique et les émissions indirectes associées à la circularité des rénovations, avec deux objectifs distincts pour le secteur résidentiel et le secteur tertiaire.
Pour le secteur résidentiel, les objectifs de performance divergent entre le bâti public et le bâti privé, avec une moyenne cible de 100 kW/m2.an (PEB C+).
Pour atteindre cet objectif, il faut commencer par rénover les passoires énergétiques, avec un premier objectif de 150 kW/m2.an à réaliser dans les 10 prochaines années, suivi de 10 années supplémentaires pour atteindre le niveau PEB C+. Cette démarche s’accompagne de l’obligation d’obtenir un certificat PEB. Mais actuellement, 50 % seulement des habitations ont un certificat PEB. La planification est rendue difficile par cet état des lieux fragmentaire.
Isabelle Sobotka souligne que seulement 1 % des rénovations sont effectuées chaque année, alors que 3 % seraient nécessaires. Cela suscite des inquiétudes parmi les défenseurs du droit au logement présents lors de la présentation, qui demandent des précisions sur le budget requis. La mise en œuvre d’un programme d’une telle envergure représente un investissement colossal, obstacle majeur pour la région. Enfin, les participants craignent que le projet, s’il ne tient pas compte de la diversité des profils propriétaires-locataires, provoque des “réno-évictions” et de la spéculation en cas d’incapacité des propriétaires à financer certaines rénovations. Face à cela, la question se pose : “Comment éviter qu’une poignée d’entreprises privées prenne le contrôle d’une grande partie du marché locatif ?”. Madame Sobotka répond qu’un cadre légal est en cours de définition, prévoyant des dérogations économiques pour éviter les expulsions liées aux rénovations et le maintien de propriétaires ayant de faibles revenus dans des logements énergivores. Cependant, rien n’est prévu pour les petits propriétaires bailleurs.

La stratégie de Renolution est rendue possible grâce à une alliance public-privé et est définie grâce à 34 fiches d’actions qui définissent la réglementation, l’accompagnement (propriétaires, secteur), le financement, et l’innovation des modèles écologiques.
Elle repose sur quatre piliers : l’économie circulaire, le comité technique, la communication, et Renolab (avec un appel à projet, comme “La Roue” pour une rénovation collective avec un seul permis d’urbanisme).

Plan Urgence Logement (PUL)

Muriel Vander Ghinst, première attachée à Bruxelles Synergie (cellule de soutien des plans gouvernementaux), est chargée de coordonner le Plan Urgence Logement. Ce plan vise à apporter une solution concrète à 15 000 ménages bruxellois, en construisant et rénovant des logements, tout en soutenant les locataires et les futurs propriétaires.

La 5ème action concerne la rénovation du parc de logements sociaux bruxellois et vise à réduire la consommation d’énergie et les charges imposées aux locataires. Plus de 42 000 logements sociaux doivent être rénovés, avec un budget de travaux estimé à 50 000 euros par logement, dont l’amortissement pourrait entraîner une augmentation du loyer de 65 à 208 € par mois. Pour le parc immobilier privé, les budgets sont similaires (environ 60 000 € par logement). Pour les locataires de logements sociaux, ces répercussions seraient compensées et ne se feraient pas sentir grâce au mode de calcul des loyers proportionnel aux revenus. De plus, selon les projections du PUL, les rénovations devraient s’accompagner d’une diminution significative de la facture énergétique. Néanmoins, l’assemblée souligne lors du débat que ces affirmations doivent être nuancées. Les gains énergétiques d’une habitation dépendent principalement de l’utilisation individuelle malgré un potentiel énergétique intéressant du bâtiment, ce qui rend impossible de garantir une réduction énergétique systématique.

Le PUL prévoit d’empêcher une augmentation des loyers malgré les rénovations énergétiques, en fournissant des aides sous forme de primes et en amortissant la part non subventionnée des travaux dans le loyer. Cette partie du loyer devrait théoriquement être compensée par la réduction de la facture énergétique des locataires. Cette première solution a été fortement critiquée lors de la conférence, car elle entraîne des injustices supplémentaires. En effet, pourquoi les locataires devraient-ils supporter le coût des rénovations alors qu’ils ont déjà payé des charges excessives pendant des années pour des logements énergivores ? Afin d’éviter cela, il est essentiel d’explorer les options légales pour empêcher une imputation supplémentaire pesant sur le locataire. Un contrôle accru est nécessaire pour empêcher que des propriétaires bénéficiaires de primes augmentent le loyer au point d’y gagner deux fois. De plus, la question de faire supporter les coûts des rénovations aux locataires reste discutable sur le plan éthique.
La seconde solution envisagée par le Plan Urgence Logement pour diminuer l’impact des rénovations est l’octroi de primes. Réactions de participants : les investissements hors primes représentent déjà un avantage en termes d’augmentation de la valeur foncière du bien après la rénovation. Les primes constituent donc un double avantage pour les propriétaires. Une alternative proposée lors de l’échange est de conditionner les aides à la fixation d’un loyer conventionné. Ainsi, en l’absence de prime, le loyer serait à la discrétion du propriétaire, tandis qu’en présence de prime, un accord de convention serait établi. Ce système permettrait d’assurer la disponibilité d’un plus grand nombre de logements abordables sur le marché locatif.

La mise en œuvre des mesures est confiée à Bruxelles Logement en partenariat avec Bruxelles Environnement, Urban.brussels – Renolution, Homegrade (fournissant des informations aux citoyens et bailleurs) et le Fonds du Logement (fournissant des prêts écoréno). Néanmoins, bien qu’un partenariat facilite l’obtention de prêts écorénovation, ces crédits ne sont pas accessibles à tous, en particulier aux personnes âgées.
Plus de détails sur les obligations de conventionnement ainsi que sur certaines incitations fiscales prévues sont souhaités. Lors de la présentation, certaines précisions à ce sujet ont fait défaut. Cela s’explique par le fait que les mesures prévues par le PUL sont ambitieuses mais nécessitent une réforme systémique des compétences légales, structurelles et organisationnelles de la région Bruxelloise, des communautés, voire de l’État fédéral. L’adoption de ces mesures n’est pas pour demain !

Interface Reno – Projet en phase pilote

Les représentants de RENOVAS sont venus présenter leur projet Interface Reno, illustrant ainsi la thématique abordée à travers des réalisations concrètes.

Il vise à améliorer la qualité des logements occupés en Région de Bruxelles-Capitale (RBC) et à garantir leur accessibilité à long terme. Objectif : assurer aux locataires et aux propriétaires une rénovation durable, tout en privilégiant les entreprises à vocation sociale.

Cette initiative est orchestrée par une équipe pluridisciplinaire unissant CAFA-RenovaS et Crédal. CAFA-Renovas apporte une expertise et un plaidoyer pour la rénovation du logement, avec ses architectes et leur expérience sur le terrain, ainsi que leur accompagnement des locataires grâce à des assistants sociaux et des conseillers en logement, en plus de leur présence au sein du Réseau Habitat. Crédal apporte son expérience dans le crédit social et met l’accent sur le secteur des logements sociaux.

Le projet vise la mise en place de partenariats, notamment lors des phases de prospection et de financement des travaux, et surtout dans la recherche de solutions pour la réglementation des loyers et l’accessibilité de ces logements pour tous. Outils développés : des plans financiers, des conventions et des incitations. Exemple d’incitation : la conclusion d’une convention de location du bien par l’intermédiaire d’une agence immobilière sociale (AIS), qui assure un amortissement des rénovations énergétiques en quelques années.

L’initiative d’un nouveau projet de rénovation se fait soit à la demande du locataire – ce qui n’a que peu aboutit car c’est vite devenu une source de conflits entre locataires et propriétaires – soit à la demande de propriétaires qui font alors preuve d’une participation plus active. Lors de cette phase initiale, il n’y a encore aucune restriction quant au type de propriétaire participants. Lors des phases de financement et de réalisation, des différenciation se créent vu les différences de motivations, de possibilités financières et d’utilisation du bien.

Actuellement, des 70 logements de fait concernés par le projet, il n’en resterait que 39 après les rénovations, conformément à la réglementation urbanistique. Le très long processus de mise en conformité urbanistique est présent dans chaque projet de rénovation, ce qui ralentit leur réalisation et décourage les propriétaires.
De plus, il existe un véritable problème de salubrité à Bruxelles, avec de nombreux travaux non enregistrés par le passé. Différents scénarios de gestion post-travaux sont envisagés concernant le devenir des habitants des logements de fait, qu’ils incluent l’AIS ou non. Ils sont élaborés en tenant compte de la diversité des situations, ce qui permet de tester différentes pistes de solutions. Il y a également des opportunités avec les logements vides (opérations “tiroir”) et un intérêt pour la gestion des biens via des contrats de l’AIS.
En fin de compte, les principaux obstacles rencontrés par Interface Reno dans le contexte bruxellois sont la longueur et la complexité du processus décisionnel, le besoin de préfinancement des travaux, ainsi que la réduction du nombre de logements par immeuble, due aux règles urbanistiques contraignantes.

Pour surmonter ces obstacles, plusieurs pistes alternatives sont envisagées, notamment le développement d’une collaboration avec la Direction des Infrastructures, de la Logistique et des Transports et les instances communales pour faciliter l’introduction des dossiers d’urbanisme. Il est également question d’assurer le suivi et le contrôle des propriétaires conventionnés après rénovation. Afin d’introduire des biens à loyers compétitifs sur le marché, il est nécessaire de renforcer les collaborations avec les AIS et leur fédération. Des incitations supplémentaires ne devraient pas concurrencer les incitations à la mise en location via une AIS. Un rapport d’activité de ce projet permettra de voir ce qui ne fonctionne pas et pourquoi.

 

En conclusion, la conférence “Pour la régulation des loyers” révèle les défis complexes liés à la rénovation énergétique et à la régulation des loyers (à Bruxelles ou ailleurs). On se rend mieux compte des difficultés rencontrées par les différentes parties prenantes, propriétaires, locataires et autorités publiques. Si Renolution est déjà en cours, le Plan Urgence Logement (PUL n’existe encore qu’à l’état de stratégie visant à concilier les impératifs de rénovation énergétique avec la protection des locataires. L’expérience d’Interface Reno montre la complexité du processus décisionnel l’importance de collaborations renforcées entre les acteurs clés et la nécessité d’incitations supplémentaires pour encourager la participation des propriétaires. De tels échanges sont essentiels et doivent être poursuivis pour trouver des solutions innovantes et équilibrées en vue d’un habitat durable et accessible pour tous à Bruxelles.

Justine Baldassarre