Où en est la Wallonie par rapport aux ODD? Le Bilan 2023 des Progrès de la Wallonie en ce sens, a été publié en septembre et présenté notamment au SDG Forum Belgium le 19 octobre 2023. Quelques remarques d’Associations 21 sur ce rapport.

Tout d’abord, Associations 21 salue l’opiniâtreté de la Direction Développement Durable du Service Public de Wallonie et de l’IWEPS (Institut Wallon de l’évaluation, de la prospective et de la Statistique). C’est le 3ème bilan des progrès de la Wallonie sur la voie des ODD, depuis que ceux-ci ont été adoptés à l’ONU en 2015. Le 1er bilan a été publié en 2017, le second en 2020. Celui-ci, de 2023, est présenté en ligne de façon plus accessible et contient plus d’indicateurs (113, pour 80 en 2020).

74 de ces 113 indicateurs sont rattachés à un objectif chiffré (valeur cible) faisant partie des 89 objectifs chiffrés wallons à l’horizon 2030 rassemblés au sein de la troisième stratégie wallonne de développement durable.

L’ensemble des indicateurs vise à donner une vision plus équilibrée des dimensions du développement durable, à permettre de vérifier les différences selon le sexe, l’âge, les classes de revenus ou le niveau d’étude, et à articuler ce rapport wallon aux travaux menés aux niveaux international et national pour permettre les comparaisons, garantir des données fiables et leur suivi dans le temps.

Enfin, la 3ème Stratégie Wallonne DD est accompagnée par un partenariat, qui permet un dialogue multi-acteurs régulier. Les acteurs sociétaux wallons membres de ce partenariat – Associations 21 notamment – ont rédigé des messages-clés inclus dans ce rapport (pp 58 à 77 de la version synthétique).

Ce qui se dégage… A première vue

Si l’on se contente de parcourir le site ou le document (téléchargeable en version synthétique (80 pp.) ou détaillée (250 pp.), on est surtout frappé par le tableau P36 (version synthétique) :

  • Tendances favorable pour les ODD 3, 5, 7, 11, 12, 14
  • Tendances défavorables pour les ODD 1 et 10 : le marqueur social
  • Tendances mitigées pour les ODD 2, 4, 8, 9, 13
  • Tendances pas suffisamment fiables pour les ODD 6, 15, 16, 17

Cette classification cache des nuances et des informations importantes :

ODD sociaux

Les résultats des ODD 1 et 10 ne sont malheureusement pas surprenants: non seulement la pauvreté et les inégalités s’aggravent, mais de plus, des indicateurs importants sont non calculables, comme le nombre de personnes sans-chez-soi dans les villes wallonnes. Certes, ce recensement est difficile à mettre en œuvre mais il est important pour les politiques sociales, de logement et de santé. En Région Bruxelloise, Bruss’Help a publié un 7ème dénombrement, recensant 7134 personnes sans-chez-soi en 2022. La même méthodologie permettrait la comparaison avec au moins une ville wallonne.

Les acteurs sociaux dénoncent en particulier les inégalités dans l’accès au logement qui ne sont pas reflétées par ce rapport. Ils craignent qu’elles soient accentuées par les rénovations énergétiques, pourtant urgentes, si celles-ci ne font pas l’objet d’une planification et d’une régulation des loyers : les bailleurs sont toujours en position de force ou, s’il leur est difficile de rénover leur bien, le revendent, d’où une concentration des propriétés dans les mains de bailleurs moins nombreux mais plus puissants, par exemple les sociétés immobilières commerciales. C’est le cercle vicieux de l’accroissement des disparités entre locataires et propriétaires, des expulsions, de la spéculation et de la gentrification, voire des discriminations dans l’accès au logement selon l’origine. Cf. l’ODD 11 (villes et communautés durables). Voir à ce sujet nos compte-rendu de récents colloques.

Des indicateurs de l’ODD 1 permettent de suivre la fracture numérique mais non de remettre en cause le « tout au numérique » qui s’est généralisé depuis le confinement, avec des conséquences pour toute la population mais surtout pour les personnes les plus vulnérables, comme l’ont soulevé les membres du Partenariat dans leurs messages clés, relayant la revendication de nombreux acteurs associatifs, dont Lire et Ecrire, de guichets physiques et de lignes téléphoniques effectives dans les services publics. Il faudrait d’ailleurs aussi des indicateurs de l’impact environnemental du tout au numérique, et de l’impact sur la santé mentale. Encore une problématique très transversale.

ODD environnementaux

Nos collègues de Canopea se sont étonnées que les tendances relatives à l’ODD 6 aient été considérées comme « pas suffisamment fiables », et nous partagent cet article qui compare les données wallonnes aux limites planétaires, ainsi que ces éléments, suivis de très près par l’administration et mis à jour régulièrement, y compris en 2023 :

  • Qualité écologique des eaux de surface : 30% des masses d’eau sont en mauvais état écologique en 2021 (vs 33% en 2011) -> légère amélioration mais on est loin du compte.
  • Qualité chimique des eaux de surface : 33% des masses d’eau sont en mauvais état. La tendance n’est pas évaluable car la méthodologie a changé au fil du temps.
  • Qualité chimique des eaux souterraines : 30% des masses d’eau sont en mauvais état, situation stable au cours du temps, mais une dégradation de la qualité de plusieurs masses d’eau est observable -> tendance légèrement défavorable.
  • Quantité des eaux souterraines : 1 seule masse d’eau est en mauvais état depuis le début, mais 2 masses d’eau sont maintenant à risque de dégradation, ce qui n’était pas le cas avant -> tendance légèrement défavorable.

L’Europe demande à la Wallonie d’atteindre 100% de bon état des masses d’eau pour ces 4 critères d’ici 2027. Faute de quoi, une astreinte financière sera réclamée.

Réponse des auteures du Bilan des Progrès de la Wallonie à propos de ces données : il manquait des mesures régulières dans la durée pour tracer des évolutions fiables. Gageons qu’une prochaine édition du Bilan intégrera ces éléments à présent bien documentés.

ODD 13: les membres du Partenariat se sont étonnés du peu d’indicateurs concernant cet ODD relatif à la lutte contre les dérèglements climatiques mais aussi aux mesures d’adaptation pour y faire face. Ils relèvent qu’il y a eu encore, en tout cas jusqu’en 2021, des nouvelles constructions dans des zones d’aléa d’inondation élevés et rappellent, au-delà de ces zones à préserver en priorité, l’objectif « zéro artificialisation nette » des terres que s’est fixée la Wallonie : 6km²/ an d’ici 2030 et à 0 d’ici 2050. Or les tendances de l’ODD11 révèlent que la dispersion des constructions se poursuit (pas seulement les habitations, aussi d’autres bâtiments). L’artificialisation des terres ne diminue pas, au contraire : les constructions ont augmenté en 2022 suite à l’annonce de ces objectifs ! Cf. manifeste No Nature No Future de Canopea, Natagora et WWF paru en 2021.

Au-delà de la mesure: agir!

Pour conclure, Associations 21 encourage les autorités wallonnes à s’appuyer sur ces données et messages clés pour mener des politiques sociales et environnementales à la fois plus ambitieuses et mieux concertées, en ayant recours à l’expertise des acteurs de la société civile. C’est le plus du développement durable : apporter une analyse transversale qui décloisonne et articule les différentes préoccupations thématiques.

Sans pour autant noyer le poisson : comme l’a souligné David Van Reybrouck dans ses Six enseignements de l’Affaire Climat, « Les avocats de l’Affaire Climat avaient développé une plaidoirie inébranlable sur les manquements des autorités flamandes, wallonnes, bruxelloises et belges, à la lumière de ce qu’elles savaient, de ce qu’elles promettaient et qu’elles auraient dû faire. Les efforts fournis sont tellement insuffisants qu’ils violent finalement les droits fondamentaux des citoyens belges, aujourd’hui et demain. »

« (…) Une des raisons principales expliquant l’insuffisance récurrente de notre politique climatique est la coopération caduque entre les régions et l’État (…) Coopérer est toujours possible. Les crises du Covid-19 et de l’énergie ont prouvé qu’un comité de concertation ad hoc est capable de fournir de l’excellent travail. « Quand on veut, on peut », a asséné Carole Billiet, l’avocate principale de L’Affaire Climat. Toute la question est que la pandémie et les prix de l’énergie étaient des crises aiguës et que le climat évolue plus lentement. C’est précisément la raison pour laquelle une condamnation juridique prendrait tout son sens. Quand on doit, on peut aussi »