Le jeudi 8 juin 2023, nous avons accueilli une conférence à Mundo-B sur le thème de la rénovation socialement équitable des logements à faible efficacité énergétique, occupés par des personnes aux revenus modestes. Adrien Roux a présenté son projet initié au sein de l’Alliance Citoyenne en France. L’échange qui a suivi a été animé par Arnaud Bilande (Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat), Marie Delfosse (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté) et Antoinette Brouyaux (Associations 21 & Coalition Climat). Cette rencontre avait pour objectif de confronter les revendications climatiques citoyennes aux réalités de la rénovation énergétique.  

L’initiative Territoires Zéro Logement Passoire  (TeZeLoPa) vise à soutenir la rénovation du parc locatif privé et public en France en se concentrant sur les logements énergivores. Elle est menée par une coalition d’acteurs, dont le Réseau Action Climat, équivalent de la Coalition Climat en Belgique. Cette coalition collabore avec des collectivités territoriales, des associations de la société civile, des entreprises spécialisées dans la rénovation énergétique, des ingénieurs thermiciens, les locataires concernés, ainsi que les accompagnateurs de projets de rénovation énergétique. À l’origine de ce projet, l’Alliance Citoyenne est une organisation active dans les quartiers populaires, axant ses actions sur l’organisation collective et la négociation avec les institutions, tout en appliquant des approches syndicales. Cette évolution vers des préoccupations à la fois sociales et environnementales a donné naissance à l’idée d’un Éco-Syndicat. 

Au cœur de cette initiative, les mobilisations au sein des quartiers populaires ont permis de relier les revendications climatiques à des préoccupations concrètes liées au logement : soit réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en améliorant l’efficacité énergétique des logements. Il s’agit de promouvoir la justice sociale en améliorant les conditions de vie des populations vulnérables et de viser à réduire les factures d’énergie pour diminuer la précarité énergétique des ménages à faibles revenus. En exposant les avantages concrets de la rénovation, l’initiative encourage la mobilisation citoyenne en faveur de l’action climatique locale et nationale. 

Les obstacles : réno-procrastination et réno-éviction 

Les acteurs principalement visés par la loi française sur le climat de 2021 sont les propriétaires occupants et le secteur locatif privé. “L’application de cette loi pose de nombreux défis, notamment en ce qui concerne la planification efficace des rénovations. La majorité des logements classés comme “passoires thermiques” appartiennent à des propriétaires particuliers, qui ont un poids politique significatif.”  Or la promotion de la rénovation énergétique se heurte aux réactions tardives des propriétaires, c’est pourquoi on parle de “Réno-procrastination“. Cette hésitation à entreprendre des rénovations énergétiques, découle de divers facteurs. Les répercussions sont considérables sur le plan social et environnemental: concrètement, c’est la facture énergétique des locataires qui augmente. Les propriétaires ne voient pas directement leur intérêt dans la rénovation énergétique, il manque des incitations à entreprendre ces rénovations. 

Il y a aussi le problème des “Reno-évictions“, soit la possibilité légale d’expulser les locataires en raison de travaux de rénovation énergétique. Les locataires craignent légitimement que les rénovations énergétiques entraînent l’augmentation des loyers, en particulier dans le secteur locatif privé, contribuant à intensifier la gentrification dans certains quartiers populaires. Celle-ci va de pair avec la spéculation immobilière, quand des propriétaires cherchent à profiter de la hausse de la valeur des biens immobiliers résultant des rénovations énergétiques au détriment des habitants locaux. 

D’où la nécessité d’impliquer activement les locataires dans le processus de rénovation énergétique afin de prévenir de telles menaces et de garantir des conditions de vie équitables pour tous. Le cadre légal est un outil mais les acteurs doivent se mobiliser. 

 

Défi technique et logistique 

Les rénovations échelonnées sont généralement moins efficaces que les rénovations profondes réalisées en une seule phase. Cependant, la situation en France ne peut pas être simplement transposée à la Belgique. En effet, le parc immobilier belge se compose principalement de maisons individuelles, tandis que le projet présenté concerne de grandes copropriétés d’appartements. Il est donc légitime de se demander si une coordination similaire à l’échelle d’une rue ou d’un quartier belge est envisageable. 

De plus, les différences contextuelles entre la France et la Belgique s’étendent également aux processus décisionnels liés aux rénovations. En Belgique, en général, l’accord de 2/3 des copropriétaires est nécessaire pour prendre une décision en faveur d’une rénovation énergétique. Des évolutions législatives sont actuellement envisagées pour faciliter ces décisions et rendre le processus plus efficient. 

Dans un tel contexte, la diversité des profils des propriétaires nécessite une classification précise, et les inquiétudes quant à l’augmentation des loyers après les travaux appellent à des mécanismes de contrôle appropriés. La planification des déplacements des locataires pendant les travaux est essentielle, tout comme l’assurance d’un relogement équitable pour les locataires et la mise en place de garanties concernant leur possibilité de réintégrer leur logement, à l’instar des opérations tiroirs dans les logements sociaux. 

La conférence met en avant l’importance de la rénovation équitable et socialement juste, montrant comment elle peut réduire les surcharges énergétiques et améliorer la qualité de vie. Néanmoins, cela est rendu possible grâce à certaines stratégies déployées pour surmonter les obstacles, notamment l’acquisition de données précises sur l’état des bâtiments et une planification à l’échelle des quartiers et des villes, nécessaire pour promouvoir des rénovations énergétiques efficaces et équitables.
 

Le rôle clé des habitants concernés 

L’implication active des habitants collaborant avec les acteurs locaux, les syndicats de locataires, les autorités publiques et d’autres parties prenantes, est essentielle pour exercer une pression collective en faveur de ces rénovations équitables et socialement justes.

Dans le projet TeZeLoPa, une approche collaborative entre ces acteurs clés favorise l’implication des locataires et renforce leur rôle actif dans le processus. Les résultats du projet (p.23) à Grenoble sont impressionnants, avec un grand nombre d’immeubles et de logements pris en compte en seulement six mois, et un taux de réussite élevé où les demandes des locataires ont incité les bailleurs à initier des démarches de rénovation. En effet, 80 % des demandes des locataires ont conduit à des démarches de rénovation de la part des bailleurs.  

Et en Belgique ? 

Le RWDH planche avec les membres du RAPeL sur un projet en collaboration avec les communes qui ont maintenant accès à des données sur les logements vides. La Fédération des Services Sociaux rassemble également des acteurs du Réseau Habitat pour expérimenter des processus. Interface Réno est un projet de Rénovas qui a fait de l’accompagnement ciblé. Habitat et Rénovation parle d’une rénovation groupée et accompagnée avec des partenaires dont une Agence Immobilière Sociale. Habitat et Participation est impliqué dans un projet de rénovation groupée à Anderlecht (quartiers Bizet et La Roue). 

En Wallonie, le projet RENO+,  qui fait partie de l’ACER (l’Alliance Climat Energie Rénovation), cible les propriétaires occupants, en vue d’organiser des trains de rénovation, en partenariat avec des communes. RENO+ est un projet financé par la Région Wallonne et opéré par Buildwise, Embuild et Greenwin (pôle de compétitivité). 

Climact travaille sur un projet de rénovation à large échelle à La Louvière (1000 logements ciblés), et parle des guichets uniques wallons pour aider les candidats à la rénovation… Les Grands Parents pour le climat, membres de la Coalition Climat, pointent que les loyers sont les seuls revenus non imposés en Belgique. Il faut oser soulever ce tabou !

La présentation d’Adrien Roux et les échanges qu’elle a suscités mettent en évidence la nécessité d’une révision du cadre juridique et fiscal actuel, pour instaurer des mécanismes plus efficaces. Le projet présenté illustre comment de telles alliances multi-acteurs facilitent une rénovation énergétique socialement équitable et cohérente. En renforçant l’implication des locataires dans la rénovation de leur logement, ces approches inclusives contribuent à transformer les perceptions et à stimuler les initiatives de rénovation énergétique. 

Il s’agit d’intégrer ces approches dans l’élaboration d’une stratégie globale de rénovation énergétique des logements à large échelle, et d’intégrer les revendications sur l’accès au logement, aux plaidoyers en faveur du climat[1]. Les résultats probants du projet soulignent l’importance cruciale du cadre légal combiné à une approche collaborative et inclusive. A voir comment la Belgique peut tirer le meilleur parti de cette expérience française.

Reste un défi idéologique : garantir  le droit à l’habitat ne pourra se faire sans opposer au droit à la propriété privée, l’alternative de modèles non spéculatifs comme les logements coopératifs de type CLT (community land trust). En tout cas, il faut renforcer le cadre légal permettant le développement de telles alternatives.

  • [1] Le 26 septembre 2023 en matinée, la Coalition Climat présentera à Bruxelles le Pacte Logement Energie aux acteurs de la société civile. Inscription.