En attendant la conférence Transition Juste des 8 et 9 novembre 2023 où nous seront présentés le rapport du comité scientifique et les recommandations issues de l’agora citoyenne, voici les premiers résultats des travaux des Etats Généraux pour une transition juste.

Nous avons lu pour vous le rapport du Forum de la société civile organisée et la synthèse de la contribution des services publics fédéraux. Comme nous avons participé au Forum de la société civile en tant que coupole d’associations pour le développement durable, la lecture qui nous a semblé la plus intéressante, est la contribution des services publics fédéraux.

C’est pourquoi le prochain Petit déjeuner thématique sera dédié à cette contribution (fin septembre ou début octobre, nous pouvons prévenir les personnes intéressées quand la date sera fixée).

En voici un aperçu. Suit ensuite un résumé subjectif du rapport du Forum de la société civile.

Synthèse de la contribution des services publics fédéraux 

La consultation des services publics fédéraux a suscité des contributions de 8 institutions :

  • SPF Affaires étrangères,
  • SPF Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie,
  • SPF Intérieur,
  • SPF Mobilité & Transports,
  • SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement
  • SPF Sécurité sociale,
  • SPP Intégration sociale
  • Ministère de la Défense

Ces institutions répondaient tout d’abord à la question suivante : Quels risques peuvent survenir à cause des megatrends, telles que les conséquences du changement climatique (sécheresse, inondations, chaleur extrême,…), la pression accrue sur les écosystèmes, la pollution environnementale, la compétition globale concernant les ressources, pour les compétences que vous traitez ?

Plus encore que leur évolution individuelle, selon les répondant·es, c’est la jonction de ces forces qui aura un impact profond sur notre environnement de sécurité. Ainsi, les publics vulnérables souffrent déjà davantage des crises que nous traversons. Faute de mesures adéquates, la pauvreté et les inégalités vont s’accroître.

Mégatendances identifiées

  • Les évolutions technologiques
  • Limitation et compétition pour l’accès aux ressources et à l’énergie
  • La démographie (croissance, vieillissement) ;
  • Les migrations ;
  • L’urbanisation ;
  • Le dérèglement climatique et les autres risques environnementaux (biodiversité, pollutions, etc.) ;
  • L’évolution du pouvoir économique, le citoyen consommateur-acteur ;
  • Les inégalités socio-économiques , socio-environnementales et de santé ;
  • La globalisation ;
  • L’augmentation des risques pesant sur la santé humaine (pandémie, changement de style de vie, exposition à de nombreux produits, etc.)

Ces administrations ont également compilé les politiques de transition en cours : engagements internationaux, belges et initiatives, les politiques propres aux institutions et les enjeux sociaux de ces politiques.

Des enjeux, interconnectés, regroupés sous 3 thèmes

  • Un mécontentement social face/suite aux changements existe et risque de s’intensifier
  • Les inégalités, la pauvreté et le mécontentement social risquent de s’accroître : les risques de perte d’emplois dans certains secteurs concernent davantage les travailleurs les moins qualifiés et les ouvriers.
  • Les risques pour certains secteurs économiques, mais aussi les opportunités.

Comment tout concilier ?

Ces acteurs publics ont ensuite évoqué, parmi les politiques de transition déjà élaborées, celles qui permettent d’atteindre à la fois plus de justice climatique/environnementale et plus de justice sociale, mais aussi les obstacles rencontrés :

  • La complexité du sujet pose la question suivante : comment tout concilier ?
  • La gouvernance
  • Le financement
  • La résistance face au changement
  • Le manque de données
  • International : ds la coopération au développement, les enjeux et motivations propres aux partenaires du Sud

Comment ces SPF pourraient-il assurer une politique de transition juste ?

Une articulation intra et inter fédérale est indispensable. La gouvernance de la Transition juste nécessitera de l’efficience, une définition claire du cadre, des rôles et responsabilités, des moyens suffisants et une collaboration dans le respect des différentes organisations et entités.

Ces acteurs plaident aussi pour une approche ancrée (notamment une reconnaissance accrue de la science) et pour la collaboration avec les experts et les citoyens.

Et pour assurer le Succès de la Conférence sur la transition juste en Belgique ?

Voici les conseils des représentants des différents SPF à leurs collègues de l’IFDD et au Cabinet Khattabi: partager une vision, éviter l’abstraction, voir à long terme, adopter 1 gouvernance efficace, éviter de complexifier (complexification administrative et la multiplication de plans et de rapportages, sont perçus comme des échecs)

Si nouveau plan pour la Transition Juste il y a, il devrait être transversal, inter-fédéral, composés de mesures concrètes, définir clairement les responsabilités, le budget, les échéances et les modalités de réalisation. Et contenir quand même aussi quelques mesures concrètes !

Résumé subjectif du rapport du Forum de la société civile

Sur base des informations recueillies lors du Forum et qui sont résumées dans ce rapport, 7 demandes d’avis ont été adressées à 5 conseils d’avis et instituts différents. Leurs avis sont attendus pour septembre 2023 :

  • Conseil Central de l’Economie et Conseil National du Travail : emploi, enseignement et formation
  • Conseil fédéral du développement durable : Financement et investissements, Ressources et énergies, Solidarité internationale (après le CCPD-ABCO)
  • Institut pour l’égalité des femmes et des hommes : Genre
  • Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale : Pauvreté

Ces avis serviront d’inputs pour la Conférence de novembre, où les différents ministres compétents pour ces différentes thèmes, seront invité.es pour réagir et formuler des mesures concrètes en vue de réaliser une transition juste en Belgique.

Le défi de la transition juste ne s’arrête pas aux frontières : elle sera l’une des priorités du Conseil Environnement durant la présidence belge de l’Union européenne, du 1er janvier au 30 juin 2024. Une conférence européenne de haut niveau sur la transition juste est annoncée en mars 2024.

Rétroactes en bref

Transition JustePour plus de détails, cf notre suivi des travaux sur la Transition Juste depuis octobre 2022

  • Consultation de l’automne 2022 : 45 contributions ont été envoyées par les parties prenantes, dont Associations 21 et plusieurs de ses membres. Leur analyse a permis de pointer les principaux points de convergence et de divergence, enjeux et priorités.
  • Préparation du forum : interview de 19 personnalités & personnes ressources sur les défis et opportunités de la transition juste, les points d’attention, attentes, et l’organisation des tables rondes.
  • Forum pour la Transition Juste, mars 2023 : 2 journées de tables rondes avec une centaine de représentant.es du patronat, des syndicats et du monde associatif, sur 4 systèmes clés : système de soins, mobilité et système de transport, système alimentaire, parc immobilier ; et 7 enjeux (emploi, enseignement et formation, financement et investissements, ressources et énergies, genre, lutte contre la pauvreté, solidarité internationale).

Un exercice de prospective pour assurer que la transition ait lieu de manière juste, a amené les participants à déterminer ensuite les principaux jalons à élaborer pour arriver à ce futur et à formuler des recommandations.

Rapport du Forum de la société civile organisée (résumé subjectif d’Associations 21)

Définition de la Transition Juste

Les réponses à la consultation ont déjà permis de reconnaître comme incontournables les principes directeurs de l’OIT en matière de transition juste tel que le fait d’avoir un travail décent et des conditions de salaire et de travail décentes dans tous les secteurs. Ce qui nécessite d’avoir une approche préventive en identifiant les secteurs/entreprises/personnes/emplois les plus touchés, les besoins futurs et la manière dont nous pouvons garantir que les personnes/entreprises seront accompagnées dans la transition. Ceci doit aller de pair avec une réflexion profonde sur la refonte des enseignements en cours à tous les niveaux de cursus, ainsi qu’avec une offre de formations et de requalifications adéquate.

Bien sûr, les différents acteurs y ajoutent leurs préoccupations prioritaires : refonte de l’économie, assurer un « level playing field » pour les entreprises et indépendants ; justice sociale ; production et la consommation durables ; neutralité climatique ; l’économie sociale est une source d’inspiration importante pour la transition juste ; La croissance n’est plus l’objectif, le bien-être est central ; ne laisser personne de côté ; la transition juste doit être démocratique…

Les personnes en situation de pauvreté sont confrontées à des “risques de sécurité” personnels plus importants et n’ont souvent pas les ressources financières suffisantes pour réaliser des adaptations ou des investissements.

Les différentes contributions identifient aussi les risques de la transition, selon les préoccupations des parties prenantes. Sans surprise, les entreprises du secteur des énergies fossiles ou celles qui en dépendent fortement courent un grand risque de connaître une transition injuste. On pense à priori à la sidérurgie, à la pétrochimie… Moins aux soins de santé, au bâtiment ou à l’agroalimentaire, particulièrement vulnérable face à une transition.

Le fossé se creuse

De nombreux acteurs soulignent que les crises climatiques et environnementales que nous traversons amplifient les inégalités existantes – et contribuent plus spécifiquement à creuser le fossé entre les pauvres et les riches chez nous et dans le monde – et que les différences socio-économiques et culturelles s’accroissent. Le risque est évoqué de voir apparaître de nouvelles formes d’exclusion et de précarité : alimentaire, énergétique, de mobilité, hydrique… Les personnes les plus précaires sont aussi souvent victimes de l’effet Matthieu des mesures politiques (bénéficiant systématiquement davantage aux plus aisés, ex les primes à la rénovation).

Les personnes qui vivent dans le Sud global subissent quant à elles des pertes et préjudices de nos modes de production et de consommation. Enfin il y a l’analyse de la transition juste sous l’angle du genre.

Recommandations

Les acteurs consultés évoquent les mesures que les gouvernements devraient prendre. Là, les avis sont plus partagés : soutien aux secteurs vulnérables ou aux initiatives citoyennes, politique ambitieuse d’investissement public, mesures fiscales, programmes sociaux, nécessité d’une vision systémique pour agir sur les causes… Il faut en tout cas des mesures concrètes et un suivi structurel de leur mise en œuvre, une planification à très court terme comme à plus long terme, la participation des groupes concernés et un dialogue social renouvelé. Il y a aussi une demande de cadres juridiques, de best practices, de ressources financières et de cartographier les opportunités comme les vulnérabilités.

Dans une approche fondée sur les droits, la Conférence devrait oser nommer le pouvoir et la redistribution du pouvoir et avoir une composition inclusive, des objectifs et des indicateurs, incluant la dimension du genre. La Conférence nationale pour une transition juste est vue non pas comme un point final mais comme le début d’un long processus vers une Belgique climatiquement neutre d’ici 2050.

Planification et ODD

Les personnes interviewées se sont largement exprimées sur la planification de la Transition Juste, se référant notamment à la maxime « leaving no one behind » de l’Agenda 2030 et aux 17 ODD, « largement interconnectés » et à prendre ensemble. Il n’y a pas de solution miracle, mais plutôt un ensemble de mesures à prendre. La même solution ne convient pas pour tous les territoires et encore moins pour les différents secteurs : La transition générera de nouveaux emplois mais certains secteurs dont l’activité n’est pas en adéquation avec les objectifs écologiques seront amenés à se réinventer. Il y a certes des opportunités, mais il faut s’y préparer.

La production et l’accès de données est particulièrement stratégique pour piloter la transition. Les impacts seront transversaux, le travail de planification doit être multisectoriel.

Le financement de la transition se heurte à l’enchevêtrement des différents niveaux de pouvoir. C’est pourquoi la coordination institutionnelle multi-niveau a été citée comme essentielle. Les experts soulignent l’importance des fonds européens dans le processus d’implémentation de la transition juste. Le Just Transition Fund constitue le premier pillier du Just Transition Mechanism (JTM) a pour vocation d’apporter une aide aux citoyen.ne.s européen.ne.s affecté.e.s par la transition vers la neutralité carbone en 2050.

Enfin il est primordial de tenir compte des travaux déjà menés, notamment dans le cadre du PNEC. C’est pourquoi, durant les tables rondes, les acteurs sociaux ont insisté : les problèmes, on les connaît, il faut agir à présent !

Justement, les tables rondes ont permis de pointer des mesures très concrètes, et d’appeler à la révision des mécanismes de soutien financier, à l’adaptation du cadre réglementaire adapté à la transition environnementale, à l’accompagnement systématique au changement pour favoriser l’évolution des paradigmes sociétaux vers plus de durabilité, et au renforcement de la coopération institutionnelle multi-acteurs.

Parc immobilier résidentiel et non résidentiel

Dans le cadre de son GT Logement, Associations 21 s’est penché sur les mesures visant le secteur du bâtiment (p40-44 du rapport du forum). 9 mesures concernent l’emploi, 4 le genre, 5 la formation et l’enseignement, 3 la solidarité internationale, 3 le financement et les investissements, 3 la lutte contre la pauvreté, et 4 les ressources et l’énergie.

Les parties prenantes ont préconisé la mise en place d’une feuille de route visant à encourager la rénovation au niveau belge, le déploiement d’une stratégie de financement, la progression de la transition technologique, l’identification d’un cadre réglementaire adapté à la transition écologique et la mise en place de processus d’accompagnement.

Notons que dans l’ensemble du rapport du forum, les mots « ruralité » et « village » ne sont jamais utilisés tandis que le mot « quartier » s’y retrouve 9 fois. L’approche urbaine s’impose… Ce constat est à nuancer à l’examen des mesures visant la mobilité (p52) qui pointent l’importance des transports en commun, l’urgence de revaloriser les métiers de la transition en lien avec la mobilité et le système de transport, et le lien entre mobilité et aménagement du territoire.