Le magazine Symbioses n°132 « Inondations : comprendre et agir » du Réseau Idée s’adresse aux enseignant·es et éducateur·ices. Les enfants et les jeunes sont donc le public final. Cependant, les notions qu’il aborde n’ont pas été au programme scolaire d’une majorité d’adultes, ou l’ont été trop brièvement, ou de façon peu attractive (les « problèmes de robinet », ça vous rappelle quelque chose?)

C’est pourquoi ce magazine sera précieux pour tous les organismes d’Education Permanente ou dédiés à la participation citoyenne. Il sera utilement complété par les enregistrements vidéo et prises de notes extensives des conférences qui se sont données ces deux dernières semaines :

Le 8 décembre à Thimister, Jacques Teller de l’ULiège a expliqué la politique Stop Béton de la Wallonie et l’évolution de l’artificialisation des sols dans le bassin de la Vesdre. Alors que les fonds de vallée sont construits de longue date, l’artificialisation des sols a gagné les plateaux entre 1950 et 2010, aggravant les inondations… Il faut donc agir sur les émetteurs en réduisant le transit de l’eau, et sur les récepteurs, en réduisant leur vulnérabilité. Les Pays-Bas regorgent d’aménagements ambitieux pour laisser de la place à l’eau en cas de crue, exemples à Nimègue et Groningen. Conférence enregistrée et visionnable sur la page Facebook d’Herbert Meyer.

Le 13 décembre, le CEPAG Verviers poursuivait son cycle de débats sur le thème, cette fois, des conséquences environnementales et écologiques des inondations en val de Vesdre, avec Daniel Tanuro, auteur et environnementaliste, Caroline Charlier, chargée de communication externe à la SPAQUE, et deux représentants de Natagora : Serge Tiquet, animateur et Kevin Lambaere, responsable politique nature, forêt et climat. Le format Facebook live du débat n’a pas permis à ce dernier de projeter son ppt mais son exposé sur les impacts écologiques de l’inondation sur la Vesdre, était néanmoins fort intéressant et il est possible de lui adresser une demande pour renouveler l’exercice. Lui aussi a appelé à briser le tabou du plan de secteur.

Le 14 décembre, c’était au tour d’Inter-Environnement Wallonie d’organiser une rencontre citoyenne. Nous avons eu l’occasion d’y entendre Georges Michel de la CWEPSS (Commission Wallonne d’étude et de Protection des Sous-Sols), qui nous a raconté les inondations du point de vue des spéléologues. La revue Eco-Karst sera, cette fois, beaucoup plus volumineuse qu’à l’accoutumée, avec de nombreuses photos de sites « avant, pendant, après »… Le karst, ce sont 5000 m² de roches carbonatées, permettant l’infiltration de l’eau de pluie vers les nappes phréatiques, pourvu qu’on ne néglige pas de libérer les chantoirs (par lesquels l’eau entre dans la roche) des embâcles qui les bouchent. Attention de vouloir intervenir dans ce phénomène pour aller artificiellement recharger les nappes phréatiques : on y introduirait des pollutions ! La nature, ce n’est pas de la plomberie !

Après lui, Benjamin Dewals de l’ULiège (HECE) a présenté la modélisation des écoulements dans les cours d’eau, réalisée par son centre de recherche, qui a participé à la constitution des cartes d’aléas pour les cours d’eau principaux. Le risque d’inondation n’est jamais nul. La connaissance du risque réduit les impacts. Il faut acquérir le réflexe de l’incertitude, examiner toute une gamme de scénarios où un ouvrage envisagé pour protéger les populations, peut être plus ou moins efficace voire dangereux. On ne sait pas de quoi demain sera fait. Si la population voit des inondations modérées périodiques, celles-ci seront des piqûres de rappel.

Le 17 décembre, dans la foulée, Habitat et Participation organisait un séminaire en visio, pour dresser les constats de l’étalement urbain, facteur aggravant des inondations (enregistrement bientôt disponible). Dans une présentation très pédagogique des spécificités hydrologiques du bassin de la Vesdre, Yves Zech, professeur émérite de l’UCLouvain et membre de Louvain for Water, a pointé cet étalement sur les hauteurs de Pepinster. Il conclut par ces questions : comment interpréter un événement aussi exceptionnel que les pluies fortes et persistantes qui provoqué de telles inondations ? Où démolir, où reconstruire ? Comment adapter l’habitat ? Comment empêcher de construire dans les zones à risques, à partir de quel niveau de risque faut-il l’empêcher ? Comment impliquer ceux qui n’ont pas été inondés ?

A sa suite, Stephan Lux, chargé de mission à la reconstruction pour le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, nous parle des innombrables difficultés qui s’abattent sur les sinistrés. La réponse des pouvoirs publics depuis 5 mois n’est pas à la hauteur. Il s’agit de la plus grande catastrophe depuis la 2ème guerre mondiale, et on y a répondu par les politiques habituelles. Or les premières victimes sont les plus pauvres. Les logements moins chers sont les moins bien localisés.

La pauvreté se généralise donc dans les vallées impactées car le cœur de l’équilibre complexe des ménages, l’habitat, est touché. De la précarité, on glisse vers la misère et de la classe moyenne vers précarité. Dans pas mal de communes, les demandes de revenus d’intégration augmentent, surtout dans les communes les plus pauvres auparavant. Parmi toutes les victimes de la catastrophe, les plus fragiles sont les moins outillés pour faire face : moins de relations pour se reloger, moins bonnes assurances, barrières de la langue et des preuves et justifications nécessaire. Finalement, la situation est plus simple pour ceux qui étaient déjà allocataires sociaux.

Il faut changer la vision de l’aide, la voir comme de la solidarité et non de la charité. Les pouvoirs publics ramènent les victimes de cette catastrophe nationale à leurs responsabilités individuelles, comme si c’était de leur faute ! L’approche doit être beaucoup plus collective pro-active, d’autant que les chocs externes vont se reproduire. On a vu la difficulté de coordonner l’aide entre Région, communes, groupes de citoyens solidaires, Croix-Rouge… A présent, les centres d’accueil ferment petit à petit, mais les maisons inondées ne sont pas prêtes !

Nous entendons aussi Bernadette Leemans livrer son témoignage de réfugiée climatique (comme ici dans Le Soir), et Niels Duchesne, de l’entreprise Merytherm dont les centrales hydroélectriques ont été fortement impactées sur la Vesdre et l’Ourthe. Lui repense son activité en se penchant à la fois sur le futur et le passé : il y a bien longtemps, les castors produisaient des petits barrages qui contribuaient à réguler les cours d’eau. Ils ont été décimés car ils constituaient une viande de choix. Ensuite, des moulins à eau ont été construits ici et là. Petit à petit, ils ont fait place à des activités industrielles. Le temps est venu de réhabiliter les castors mais aussi d’envisager, aux sources de l’extraordinaire réseau capillaire qui alimente nos cours d’eau, des moulins à eau permettant à des communautés de taille réduite, de profiter de cette production hydro-électrique.

Les aspects économiques n’ont pas encore été beaucoup abordés dans ces rencontres. Pourtant ils se profilent derrière toutes les remises en cause du plan de secteur : bourgmestres qui ne veulent pas refuser des permis de construire en zone inondable, ministre qui accorde un permis à une PME là où une commune l’a refusé (le cas s’est encore présenté récemment sur le territoire de la commune de Grez Doiceau), spéculation immobilière qui creuse encore plus profondément le fossé entre riches et pauvres là où il faudrait renforcer la solidarité de bassin versant…

Lors de son prochain séminaire en visio, en février 2022, Habitat et Participation abordera les coûts de l’étalement urbain et les solutions « durables » déjà mises en œuvre ou préconisées : maîtrise du foncier par les pouvoirs publics, concertations entre communes de l’amont et de l’aval, meilleure sensibilisation des citoyens pour veiller au grain, soutien aux collectifs citoyens (Occupons le Terrain, Justice pour les Sinistrés…) Il y a du taf pour l’Education Permanente et les sciences citoyennes, formons-nous collectivement !

Antoinette Brouyaux, 20 décembre 2021 (notes extensives disponibles sur demande)

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